Chroniques

Alpine Decline Go Big Shadow City

Chez certains, le fait de s’expatrier provoque une renaissance. On fait table rase du passé. On se réinvente une vie, de nouveaux loisirs, une nouvelle personnalité, une street créd’ même pourquoi pas. Erasmus en est la preuve, en transformant chaque année d’invétérés losers en gens hyper cools le temps d’un échange scolaire. Pour les américains Jonathan Zeitlin et Pauline Mu, le transfert d’Alpine Decline de Los Angeles à la banlieue lointaine de Beijing a eu l’effet inverse. Plus le temps passe, plus le groupe sort des albums (cinq depuis 2010 quand même), plus il semble se replier sur lui même. 

Certes, sur l’avant dernier album, Knight Of The Long Knives, on pouvait trouver quelques sursauts d’ouverture, de découverte d’un monde encore peu connu, en l’occurrence, la Chine, comme par exemple « Personal History » ou le magnifique « Drunk On Chrystal Fire ». Mais avec Go Big Shadow City, on retombe rapidement dans un noise rock et shoegaze d’exil solitaire. Le point fort de cet album tient dans le simple fait que Zeitlin et Mu ont su varier la teneur des morceaux : rapide et tranchant sur « The Visions Run Dry », cotoneux façon Slodive sur « Hang Around The Creases » et post-punk avec « My Smokestacks Only Burns At Night » et « Fearless In The Face Of Fate ».

Malgré tout, cet album présente quelques défauts, les mêmes que l’on retrouve souvent chez les noiseux d’aujourd’hui. Le plus flagrant et de fait le plus irritant avec les groupes qui font du shoegaze, c’est ce besoin de surenchérir dans la quantité d’écho sonique qu’ils laissent courir en fin de morceaux. De manière générale, on peut affirmer que pour eux ce gimmick représente l’acmé du planant, le summum du cool à la Spectrum. Sauf que ce cool, aujourd’hui, a une tronche de cadavre coké (bisou Peter Kember !). En vrai, l’effet sonique/larsen/reverb pendant cinq minutes est probablement le truc le plus relou à écouter de la Terre, d’autant que nous, on ne prend pas de drogues car la drogue c’est mal, m’voyez… Alpine Decline, sur le superbe « The Visions Run Dry » n’en utilise que deux minutes et dix secondes. C’est déjà trop.

Il y a comme autre défaut ce besoin irrépressible de faire toujours le même morceau, ou pire, de sonner comme My Bloody Valentine. C’est une tare commune à tous les groupes et qui font des noiseux et shoegazeux une bonne bande de consanguins, une famille tuyau de poil dans laquelle chaque membre se pompe mutuellement. Sinon, on peut voir les choses d’une autre façon, que le shoegaze revêt une autre signification depuis quelques années. Ce n’est plus uniquement le genre musical de l’autiste qui joue de la guitare en regardant ses godasses, c’est aussi celui du musicien qui, au lieu de regarder vers l’avenir en cherchant un peu à se renouveler, fixe ses pompes de peur de s’éloigner des recettes de tonton Kevin Shields. Pas de prises de risques. Pas de chansons particulièrement originales (“Don’t Ask Questions”, “A Brief Assessment Of The Current Situation”). Pour Alpine Decline, le fait de s’exiler en Chine n’aura pas été suffisant pour éviter de tomber dans ces pièges. Malgré tout, ils sont parmi les rares survivants à essayer de faire évoluer ce genre qui a déjà vécu sa seconde vie à la fin de la dernière décennie. Une persévérance et un panache qui force le respect.

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