Chroniques

Top albums 2013 #16 Aline

Guéret est la préfecture du plus beau département de France, à savoir la Creuse. Romain Guerret est, quant à lui, le chanteur du plus beau groupe de pop française du moment, à savoir Aline. Vous vous en doutez, hormis l’homonymie entre Romain et l’ancien chef-lieu de ce département tant raillé, il n’y a aucun rapport. Présentement, c’est bien le quatuor sudiste qui nous intéresse. Mode intro poussive off, nous pouvons donc rentrer dans le riff du sujet car sur ce premier album d’Aline, il y a à boire puis à danser. 

Romain, quand on l’écoute un peu parler de sa vie, on ne peut s’empêcher de penser à Rob Fleming, le héros de High Fidelity, premier roman de Nick Hornby (et du film de Stephen Frears). Tous deux sont fans de pop, ont bossé comme disquaire et, quand Rob fait des compilations comme d’autres écrivent des lettres d’amour ou de séparation, Romain enregistre Regarde le ciel, un album de rupture pour purger ses peines. Rajoutons que les deux pourraient être frères de comptoir d’un quelconque pub londonien mais sinon, la ressemblance s’arrête à peu près là. Dans High Fidelity, Rob s’interroge : est-ce que seuls les gens tristes écoutent de la pop ou bien est-ce la pop qui rend les gens malheureux ? Je me suis posé la question en remplaçant le terme « pop » par « Aline ». Il se trouve que je me suis retrouvé à écouter cet album une centaine de fois et ce dans diverses situations de gloubiboulga émotionnel. Voici mon diagnostic : j’aime écouter leur pop de garçons sauvages quand je suis triste (par exemple, quand ma nouvelle copine m’avoue être atteinte de alors que depuis le début, elle dit sortir avec moi uniquement pour mon « superbe visage »). J’adore aussi l’écouter quand je suis heureux (par exemple, quand ma nouvelle nouvelle copine m’avoue être atteinte de prosopagnosie alors que depuis le début, elle me dit que mon visage ressemble à celui de Frédéric Lefebvre). Et j’aime tout autant les douze titres de Regarde le ciel lorsque je suis peace comme Démocrite (par exemple, quand j’avale un quart de Lexomil et que ma nouvelle nouvelle nouvelle copine n’est pas atteinte de prosopagnosie). 
 
Pourquoi ? Parce que la musique d’Aline, émouvante mais jamais larmoyante, est aérienne, sincère et de belle eau, tout simplement. Parce qu’elle est instinctive et parle aux cœurs balafrés comme aux amoureux fous, à tous ceux qui ont déjà aimé une fois (et se sont déjà faits larguer une fois ou plus). Parce que sur « Elle et moi » ou « Teen Whistle », on se rappelle au bon souvenir du rock mélodique des Smiths. Son électrique et raffiné, arpèges de cristal (ceci n’est pas une blague dédiée à Bruce Willis et aux fans de Die Hard), au point de se dire que le « Friday I’m in Love » des Cure n’est jamais très loin, tout comme l’indie-pop anglaise estampillée Sarah Records. Mais c’est plus que de la twee-pop et Aline tire quasiment vers la powerpop, avec des morceaux énergiques et carabinés, jusqu’à devenir abrasifs : sur les finals joués le mors aux dents de « Elle m’oubliera » et de « Obscène », une sorte de grondement furieux s’abat comme le rock’n’roll sur le bas-clergé. The Jesus and Mary Chain se trouvent à un jet de bière et c’est intentionnel, bien entendu.
 
La leçon de grammaire pop est récitée à la lettre, l’écriture, ciselée, on rencontre bon nombre d’allitérations et les mots, triés sur le volet, sont simples, presque candides (ciel, elle, hirondelles), mais sonnent. Sortie en mai 2012, la scie dionysiaque « Je bois et puis je danse », du funk blanc branlant en forme de clin d’œil au « » d’Orange Juice, est un bijou d’écriture pop : « Dans les yeux noirs d’un garçon elle se perd / J’aurais dû essayer, ce soir je dormirai par terre. » Rien à ajouter.
 
Jeunes hommes, ou femmes, qui venez de vous faire larguer, ne désespérez point, car vous avez un ami avec Aline. Leurs douze chansons rappellent que l’amour est un fugitif et que « seul souffrir est éternel » (une phrase d’Aragon ou d’Eragon, je ne sais plus ?). Et quand on découvre le bonheur, les petits plaisirs de la vie, il est bientôt l’heure de faire ses valises ; quand ça bat trop de l’aile, pas celles des « Deux hirondelles » (chanson culottée écrite par Romain pour ses filles), « rien ne sert de se mentir », ne tardez pas, « Il faut partir » (très beau slow en forme de mi-temps de l’album). Aline, repaire douillet pour godelureaux saturniens, ceux qui ne tombent amoureux que de leurs rêves et de leurs souvenirs. 
 
Ps: d’expérience, on peut conquérir une nana en lui envoyant des chansons d’Aline sur Facebook, mais on ne peut pas la retenir en lui envoyant des chansons d’Aline sur Facebook.
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