Avec pour pochette d’album une tête de chien tout droit sorti de l’enfer et un premier label au doux nom d’Urinal Cake, on se doutait bien que Protomartyr, quatuor de Détroit, ne s’était pas lancé dans la musique pour faire danser les filles ou assurer la caution punk de la prochaine Fashion Week. On a plutôt là une authentique bande de rageux qui troque le hardcore de circonstance contre une musique sonnant comme un prolongement du post-punk anglais des années 80. Un bouillonnement abrasif joué sans fioritures et sur un tempo rapide.
Pourquoi on s’emballe ? Parce que « Scum, Rise ! », premier extrait de leur deuxième album (Under Color Of Official Right, sortie prévue le 8 avril) s’impose direct en tant qu’hymne fiévreux d’un groupe qui n’hésite pas à rajouter des couches d’effusions bruitistes. En prime, la voix aux accents Nick Caviens tendance prêcheur de l’apocalypse ajoute une tonalité cold-wave plus que bienvenue.
Traditionnellement, derrière toute musique de furieux se cache une histoire d’ennui. C’est le cas pour Protomartyr et, comme nous l’explique Joey Casey, le chanteur du groupe. « À l’origine, Greg (le guitariste, ndlr) et moi bossions ensemble à l’entrée d’un cinéma du centre-ville », nous lance le garçon. « Quand tu as un boulot qui pourrait très bien être géré par un bout de bois, tu passes naturellement ton temps à discuter et nous nous sommes alors découverts de nombreux intérêts communs. À ce moment, Greg avait déjà un groupe avec Alex (le batteur, ndlr). En 2010, j’ai commencé à squatter dans leur local pendant qu’ils répétaient mais je ne sais pas ce qui m’a poussé à me mettre au chant. Je pense qu’au début ils trouvaient ça marrant qu’un mec bizarre et plus vieux débarque en titubant sur la scène de leurs concerts pour chanter sur quelques titres avant de se barrer. En tout cas moi ça me faisait marrer. Par contre, dès que Scott (le bassiste, ndlr) nous a rejoints, on s’est empressés d’écrire des chansons. À l’époque, nos objectifs étaient alors plutôt basiques : jouer au Jumbo’s bar (ndlr : un bar local), enregistrer un album et, surtout, éviter les blackouts ».
Même si les influences de Protomartyr semblent a priori évidentes, le groupe impose quand même une personnalité sonore immédiate : « Nous sommes inspirés par beaucoup de choses mais cela finit forcément de manière très distordue dans notre musique. J’aime, en général, le dédain affiché pour toute orthodoxie musicale. En général, pour mon “chant”, je m’inspire de tout chanteur qui ne peut pas tenir une note mais s’y essaye quand même ».
Leur premier LP, All Technique, No Passion, – on appréciera l’ironie du titre – malgré une production globale suintant la précarité, permet au groupe de signer chez Hardly Art (label entre autres des Jacuzzi Boys, Hunx and His Punx ou Le Loup). « Les mérites de notre signature chez Hardly Records reviennent à une seule personne : Ruben Mendez. Il travaillait auparavant pour eux et c’est son seul enthousiasme qui nous a permis d’y entrer. S’il y avait quelques bons échos à la sortie de notre premier LP, c’était forcément parce qu’il avait parlé de nous ou l’avait vendu depuis son van à Seattle (non, sérieusement, le mec vend vraiment des disques depuis son van, , ndlr) ».
Le groupe étant originaire de Détroit, la teneur agressive et sombre de sa musique pose forcément la question de l’influence de cette ville toujours en crise profonde. Première grande métropole américaine (la Protomartyr en question ?) déclarée officiellement en banqueroute, dans un pays toujours superpuissance sur l’échiquier mondial, cet ancien fleuron de l’industrie automobile s’impose comme le symbole d’un système à bout de souffle. « Ma propre situation économique m’inspire probablement plus mais il est en même temps difficile de ne pas écrire sur ta ville quand certaines personnes en parlent comme un chien malade qu’il faudrait piquer. Certaines chansons de Under Color Of Official Right se déroulent explicitement à Détroit : “Bad Advices” évoque ainsi l’ancien maire alors que “Come & See” expose un point de vue apocalyptique sur l’avenir de Détroit. Mais il y a aussi des chansons sur notre haine des mauvais barmen, l’état flippant de nos shows télé ou bien sur tout simplement ces moments où tu fais la queue, bourré, pour pouvoir aller pisser. Notre album n’est pas du tout un hommage à Détroit. J’espère ne pas être aussi prétentieux ».