YO LA TENGO : « L’image de la rock-star trop importante pour travailler, ça ne me parle pas »

Ira Kaplan et son groupe, Yo La Tengo, font désormais figure de dinosaures dans le rock alternatif ricain. En presque trente années d’exercice (le groupe s’est formé en 1984) et treize albums (dont le dernier en date, Fade, est sorti le 14 janvier. La chronique de DumDum ici), Kaplan, Georgia Hubley (la femme du premier) et James McNew ont suivi une ligne claire : l’indépendance. Indépendance vis-à-vis des mastodontes de l’industrie du disque et du public, indépendance vis-à-vis du plan de vie plus vraiment glam’ des groupes de rock aujourd’hui. Aussi, ils n’ont jamais voulu ressembler à qui que ce soit, affichent trois têtes de nobodies pas sexy pour un sou, et ont pourtant, avec labeur et ce qu’il faut de talent, dessiné les contours d’une discographie intouchable. Yo La Tengo, c’est également l’une des rares valeurs sûres du rock indépendant : tous leurs albums se vendent plus que correctement (on parle de 6 à 7000 ventes sur leurs derniers disques en France, quand les quatre derniers ont scoré dans les charts américains, à des places certes modestes). Co-guitariste, co-chanteur et co-gérant de la PME familiale Yo La Tengo, Ira Kaplan ressemble à un petit artisan qui est arrivé loin, modestement, mais surtout parce qu’au fond, dans son domaine, personne n’est à même de rivaliser avec lui.

Commençons par causer musique. Ce nouvel album est presque morbide parfois (moue boudeuse de Kaplan, ndlr). Bon, peut-être pas morbide, mais les sujets sont plus durs, vous évoquez la mortalité, et vous semblez souvent vulnérables.

IK : Peut-être (il réfléchit). Ce n’est probablement pas faux. Je ne suis pas certain que ce soit vraiment nouveau, mais c’est vrai que ce genre de sujets domine davantage ce disque. C’est la vie qui veut ça… avant d’arriver ici, j’ai lu que David S. Ware, le saxophoniste de jazz, vient de mourir (entretien réalisé le 30 octobre. Ware est décédé le 18, ndlr). Nous sommes de plus en plus conscients du temps qui passe, mais si vous m’aviez demandé quel était le thème de l’album, j’aurais été bien incapable de vous donner une réponse.

Et justement, le temps qui passe : ça fait bientôt trente ans que Yo La Tengo existe. Vous avez enfin votre propre biographie (disponible en anglais , ndlr).

IK : Tout un tas de groupes n’ont jamais vu quelqu’un leur consacrer une biographie. Mais il y en a de moins en moins (rires). C’est bien de voir que certains considèrent que nous sommes un groupe important…

Vous l’avez lue ?

IK : Non, j’ai juste parcouru un brouillon. Attention, je n’ai rien contre Jessie (Jarnow, l’écrivain et DJ qui a réalisé la biographie, ndlr) mais… même si Proust avait écrit le bouquin, je n’aurais pas pu l’apprécier. C’était étouffant, page après page, de lire des trucs à mon sujet. C’est une expérience vraiment compliquée. Quand la version finale est arrivée, j’ai lancé quelque chose comme « great, thank you » avant de passer à autre chose. Trop dur, de lire quelque chose qui me concerne, comme si j’étais devenu un personnage. Je préfère lire des histoires qui concernent d’autres personnes.

C’est difficile, de se livrer, d’être interviewé et analysé en profondeur pour les besoins d’un livre ? De dire des choses que vous n’auriez pas confié autrement ?

IK : Assez, mais j’aurais du mal à vous donner des exemples. C’est une décision qu’on a pris d’un commun accord, sans joie particulière, mais on a décidé de faire confiance à Jessie.

Pensez-vous parfois à la manière dont les gens se rappelleront de vous, à la postérité ?

IK : Parfois… mais si ne serait-ce qu’une personne se souvient de nous, ce serait déjà génial (rires). Quand tu enregistres un album, tu espères que les gens l’écouteront sur la durée. Et si tu extrapoles, peut-être qu’ils l’écouteront encore dans quelques mois, quelques années. Je dis ça, mais je ne passe pas mon temps à méditer là-dessus.

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