PAUL BANKS : « J’ai l’impression de tout recommencer à zéro »

Ce n’est pas la première fois que Banks tente de s’affranchir d’Interpol. Alors que son groupe, fer de lance du renouveau indé/rock, troquait les converses pour des costumes Prada et une esthétique bien plus goth que les minots en couverture du NME, Paul faisait le DJ hip-hop ou le crooner sous un nom d’emprunt.

Sur scène, c’est Carlos Dengler, le bassiste, qui volait la vedette à tout le monde avec son holster déchargé, avant lui aussi de quitter le groupe pour slaper vers d’autres contrées. Banks sort Banks chez Matador, un premier album résolument urbain – ça c’est cadeau à cause de l’immeuble sur la pochette. Sous son nom, il continuera d’agiter sa barbiche blonde avec le flegme et la timidité du gars qui fait ce qu’il aime avec passion.

 

PAUL BANKS : Je suis allé en Espagne quand j’étais vraiment jeune pour accompagner mes parents. Je n’étais pas super motivé au début mais quand j’ai pris le pouls de la culture sur place, je me suis rendu compte qu’il y avait des endroits bien plus glauques. J’ai réalisé que vivre avec cette distension entre deux cultures, celle d’où je venais et celle qui m’accueillait, ne posait pas problème tant que j’en appréciais les qualités. Où que tu sois, tu as besoin de temps pour t’adapter, pour démêler la magie et les merveilles de la culture de ton environnement. Je pense que j’en ai tiré un respect pour toutes les formes de culture traditionnelle et une conscience des écarts qui existent d’un lieu à un autre. Je crois que cela a aussi éliminé chez moi toute possibilité de sentiment patriotique, parce que tu te dis « ah mec, tout est peut être différent mais tout est beau d’une manière ou d’une autre. »

Du coup, tu es apatride ?

Non, je suis persuadé que le patriotisme mérite d’exister parce que chaque culture devrait être associée à de la fierté. Moi, je ne sais simplement pas vers laquelle me tourner. Je suis une sorte « d’outsider ». Quand on vient à appeler un endroit « chez soi », faut vraiment le vouloir. Moi je me considère plus comme un observateur. Bon, ce n’est pas de la condescendance, mais je crois que les gens sont pareils partout. Il y a juste une barrière qui est le langage. Quand j’étais en Espagne, l’argot que j’entendais était incroyable. J’ai appris à jouer avec la grammaire là bas, à y introduire des erreurs volontaires. C’était chouette.

Tu te sentais différent des autres gamins de l’époque ?

Sur place non parce que j’allais dans des écoles américaines. Tout le monde avait la même sensation. Par contre, quand je suis rentré d’Europe aux États-Unis, je me suis senti un peu chelou. Peut-être parce que je débarquais dans le New Jersey et que j’avais 16 ans. Il y avait une sorte de fossé dans le comportement, j’avais l’impression d’être plus mature. J’étais déjà allé dans des bars, je m’étais déjà explosé la gueule à l’alcool, j’avais fait la fermeture des clubs, j’avais vécu dans une grande ville, j’avais eu accès à un panel de choses extrêmement riche. Et tout d’un coup je me retrouve dans le Garden State, dans une super ambiance rurale où pour s’amuser, les jeunes se réunissent chez un pote avec un fût acheté par un grand frère. Là je me dis « c’est pas vachement civilisé comme attitude mec, c’est même nase ».

 

 

« L’Espagne, c’est là où j’ai voulu devenir musicien… »

 

 

C’est important cet héritage pour toi ?

Oui et je le mesure chaque jour. L’Espagne, c’est là où j’ai voulu devenir musicien parce que j’y étais au moment où Nirvana a percé. C’était mon groupe préféré, j’en étais obsédé et c’est là que je me suis dit : « c’est ce que je veux faire de ma vie ». Après, quand j’ai déménagé à Mexico vers mes 18 ans, mes amis avaient plus de références que moi et j’ai été exposé à des formes beaucoup plus sophistiquées de culture et d’art. J’ai écouté pour la première fois les Pixies ou des trucs bien zarbi comme le groupe japonais Pizzicato Five. On était à fond sur Polvo, Cat Power, Blonde Redhead. C’était l’épiphanie.

Comment consommais-tu cette musique ?

J’achetais des CDs, je faisais des cassettes, je regardais MTV. J’avais toujours un walkman avec moi. Je crois que c’est après avoir écouté Dream On, d’Aerosmith que j’ai commencé à vouloir jouer. Mes parents écoutaient des trucs plutôt respectables, genre Led Zeppelin ou Pink Floyd. Et puis je suis devenu musicien grâce à une étincelle. Je m’en foutais de l’école, j’ai failli plusieurs fois me faire virer parce que j’avais un comportement erratique et les gens pensaient que je prenais de la drogue. Je faisais le couillon et j’écoutais Suicidal Tendencies alors que mes notes n’étaient pas mauvaises. Je commence donc la guitare. Je n’ai jamais eu un sentiment aussi immédiat et viscéral. C’est comme la vidéo de Are You Gonna Go My Way de Lenny Kravitz, tu n’es pas obligé d’être fan, mais il y a une fascination qui s’exerce immédiatement. À mon avis c’est comme quand un acteur se met à parler d’une scène qu’il aimerait rejouer. D’un point de vue esthétique, le clip de Kravitz avec sa construction architecturale assez cool et ses skateurs qui sautent dans tous les sens, tu te dis « waouh ». D’un point de vue mélodique et émotionnel, c’est clairement Nirvana, parce que tu apprécies l’honnêteté et la violence qu’il y a dans les chansons de Kurt Cobain.

Comment construire sur cette étincelle ?

Je crois que c’est inévitable. Ça va paraître complètement barré mais j’ai lu une interview de Ted Bundy, le serial killer, il parlait le jour avant son exécution et ils le décrivaient comme un maître de la manipulation super intelligent. Il était plutôt malin mais sa défense était construite sur le fait que son comportement était uniquement la faute de la pornographie, qu’il avait été exposé à des images de violence dans sa jeunesse. Il soutient que c’est ce qu’il avait en lui qui l’a poussé à tuer. Et il développe son argument en disant : « Si on avait banni la pornographie, on aurait pas de mec comme moi. » Mais c’est des conneries. Et d’autant plus aujourd’hui avec l’Internet, tu es plus rapidement soumis à ce genre de choses et la réaction, le réflexe majoritaire, c’est juste d’éteindre parce que putain c’est malsain.

Bundy, il voulait expliquer qu’il n’y avait rien en lui à l’origine pour expliquer ses gestes. Que ça avait été placé là par une influence extérieure. Qu’il n’éprouvait aucun intérêt pour ça avant d’y être confronté. C’est faux. Je veux dire que le mec aurait fini par tuer quoi qu’il ait regardé. Bah la musique, c’est un peu pareil, c’est en toi. Tu ne deviens pas musicien parce qu’avec de la chance tu tombes sur un morceau et sans ça t’aurais jamais tenu un instrument de ta vie. Je suis persuadé qu’il y a des prédispositions pour ce genre de choses. La musique attend d’être déverrouillée, c’est un stigma qui peut venir de n’importe où. Donc avec un accès plus large à différents types de musique, les gens qui sont prédisposés pour en faire le découvriront tôt ou tard. Mais je pense surtout qu’ils seront exposés à plus de choses, d’influences. Maintenant, un gosse au Mali peut écouter Marquee Moon de Television, tu vois ?

 

 

« Il fallait quelque chose de plus drastique que les drogues… »

 

 

Comment tu en viens à faire Interpol ?

D’abord, tu fais de la gratte. Combien de fois je suis tombé sur des gus qui geignaient « ah mais quand je fais de la guitare ça me fait mal aux mains. J’aime pas m’entraîner. » Je ne partage aucun trait avec ses mecs là. Aussi parce que je n’ai jamais eu à travailler ma guitare. J’ai joué. C’était un besoin, je ne pouvais pas passer une journée sans jouer de la guitare. Cette envie, c’est comme une fonction biologique. Quand Interpol a commencé, je me suis rendu compte que si je n’avais pas été dans un groupe, j’aurais probablement pallié ce manque par quelques actions criminelles et une attitude destructrice. Il fallait quelque chose de plus drastique que les drogues. Et je pense que le chant est un bon exutoire émotionnel. À chaque fois que je chante, je sens le rush d’endorphines qui monte au cerveau et qui fait un effet fantastique. Je crois que c’est à la fois thérapeutique et enthousiasmant.

Donc tu rencontres Carlos Dengler et Daniel Kessler et vous enchaînez les premiers concerts c’est ça ?

C’est eux qui ont commencé, moi je les rejoins pour être un second guitariste au départ. Et il s’avère que personne ne chante. Donc je m’y mets. Je crois que la satisfaction et le soulagement sont venus quand on s’est rendu compte qu’on n’était pas mauvais lors des répétitions. Sam a rejoint le groupe et tout le monde prenait les choses au sérieux. Après, la performance sur scène c’est quelque chose de radicalement différent. L’idée pour moi, ça n’a jamais été d’être riche et célèbre ou d’avoir le bus dernier cri pour la tournée. Le rêve c’était être capable d’exprimer une forme de pureté, une sincérité dans l’art. Et je crois que le live… (il hésite)

J’aime bien écrire de la musique, enregistrer de la musique et écouter de la musique enregistrée. J’aime faire de la scène pour tout un tas de raisons différentes. Je crois qu’il y a des artistes qui ont une facilité pour se produire en public mais ce n’est vraiment pas moi. Pour moi, c’est simplement une facette du musicien, ce n’est pas le but ultime. Être dans une salle avec des fans, c’est fort. Je me rappelle quand on ouvrait pour U2, devant des gens qui ne nous connaissaient pas du tout. C’était comme être un DJ. Mais je suis plus dans mon élément quand je fais de la musique. Après quand tu veux gagner de l’argent tu es un peu obligé de faire des concerts, c’est clair.

Tu as fait un patchwork de toutes tes influences pour écrire Banks ?

Je les vois de manière séparée, mais aucune n’est meilleure qu’une autre. Je ne fais pas de classement ou d’échelle. Tu vois par exemple je ne connais rien du tout à l’Allemagne, mais je ne vais pas juger. Ça se trouve, il suffit que j’y reste cinq ans pour m’immerger culturellement et en profiter. Je ne sais pas. Je crois qu’à influence égale, le Velvet Underground, les Pixies, Beck et Sonic Youth qui m’ont tous aidé à devenir musicien, sont la quintessence des artistes américains. J’ai jamais compris les Smiths ou les Happy Mondays alors que j’écoutais les Red Hot Chili Pepper et Jane’s Addiction. Les Manic Street Preachers avaient sorti un tube que j’aimais bien quand j’étais en Europe mais c’est tout ce que j’ai pu m’offrir.

Jouer en solo, c’est une habitude qui est venue en parallèle à Interpol ?

J’ai déjà sorti des chansons sous le nom de Julian Plenti. C’était une manière d’effectuer une scission en douceur, de faire des choses à échelle humaine. Mais cela revêt la même importance. Certains ont l’impression que je veux conserver des tics d’Interpol dans mon projet mais ce n’est pas vrai. Il y a une distinction. J’ai composé pendant la route et ce songwriting est capital. Je l’ai saigné sur le trajet de la dernière tournée. Parvenir à convaincre les gens que ma carrière solo est recevable, qu’elle est différente, va me prendre du temps. Mais c’est une décision qui rend humble. J’ai l’impression de tout recommencer à zéro.

Photo :

Album : Banks (Matador Records/Beggars Banquet)

Sortie le 20 octobre.

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