DINOSAUR JR : «  Je sais bien que je suis quelqu’un d’immature »

Il faut le dire : Joseph Donald Mascis est constamment à côté de ses pompes. Sorte de cross-over rock entre Gandalf et The Big Lebowski, aussi bien physiquement qu’au niveau comportemental, difficile de dire si J Mascis vit sur la même planète que le commun des mortels. Petit coup sur le carafon ou consommation excessive de weed ? Les paris sont pris. Reste qu’avec son CV, il fait partie de la caste des intouchables. Dictateur au sein de Dinosaur Jr (particularité : spécialiste de l’éviction vicelarde de ses petits collègues) et compositeur quasi-exclusif de l’intégralité des dix albums du groupe, son Dino fait partie des rares troupes à avoir sorti des albums aussi bons après sa reformation (en 2007) qu’avant sa séparation (en 1997). J est réputé pour rester de marbre face aux journalistes. Comme s’il dormait debout, là, pile-poil en face de vous, dans ce bar d’un grand hôtel situé Place de la République, à Paris. Ajoutez à ça un bon vieux jet-lag des familles, un soleil de plomb et vous obtenez un cadavre aux cheveux argentés. Malgré quelques absences (comme sur le sujet de ses cheveux, ou de son parcours scolaire), les neurones qui se connectent façon modem 56k, J se prête au jeu. Il faut juste le prendre de front, garder sa concentration et poser des questions directes. Sérieusement, qui d’autre que J répondra sérieusement à la question « tu aimes ton gosse ? ».

J MASCIS : Le premier contact que j’ai eu avec la musique, c’était par mon grand frère. Il avait sept ans de plus que moi. Il adorait la musique. Mais je n’avais pas le droit de toucher à ses disques. Ça m’a pris dès l’âge de six ans.

Tu les empruntais en secret ?

Nahhhh, j’ai commencé à acheter les miens. Mes premiers disques, c’était les Beach Boys, les Beatles, des trucs du genre…

Des souvenirs de cette période ?

Je voulais jouer d’un instrument, j’ai pris une leçon de guitare et j’ai détesté ça. (Sa voix descend comme si quelqu’un baissait le son, comme si son cerveau se mettait progressivement et très succinctement en veille) Du coup, à la place, j’ai pris des leçons de batterie et ça m’a plu….

Tes premiers groupes, alors ?

Beach Boys, et ensuite… Deep Purple, Aerosmith, et… Genre, euhhhh… Creedence Clearwater Revival et les Rolling Stones et Derek and The Dominos. J’ai commencé à acheter des disques d’occasion, je passais par plein de phases. (57 secondes lui ont été nécessaires à prononcer l’intégralité de cette phrase) Et puis il y a eu le punk.

C’est arrivé comment, ça ?

Mon pote là… Qui était le seul punk du lycée. Du coup j’ai vendu tous mes disques de vieux con (sic).

Pour acheter lesquels ?

Au début c’était Ramones, Sex Pistols, The Damned, Eater, Blitz, Exploited, UK Subs, Discharged, hardcore american. C’était vraiment un truc underground à l’époque, on n’était que deux à écouter ça dans le coin. Il y avait une scène hardcore à Boston, à seulement deux heures d’Amherst. Le bus s’arrêtait très précisément devant l’endroit où avaient lieu les concerts.

Tu ne te sentais pas à ta place, à Amherst ?

Nahhhh, je m’en foutais. J’ai pris la décision de me mettre en marge de la société. À ce moment-là, j’avais treize ans. Je me suis fait pousser les cheveux. Et quelques années plus tard, je les ai coupés très court.

Tes parents ont vu ça de quel œil ?

Mes parents et ma grand-mère n’aimaient pas les cheveux longs, mais ma grand-mère aimait aussi les cheveux courts, ce qui n’était pas le cas de mes parents.

Arrêtons de parler de tes cheveux, tu dois en avoir marre. La scène punk hardcore, donc, ça a changé ta vie ?

C’était une découverte majeure, le hardcore, je sentais que c’était pleinement fait pour moi. Tous les kids étaient comme moi… ce n’était pas une armée de junkies avec des vestes en cuir. C’est vrai, avant ça, pour moi, les punks c’étaient que des junkies comme Johnny Thunders mais moi les drogues ne m’ont jamais attiré. J’ai grandi dans une ville de hippies et je n’ai jamais pu les piffrer. Donc quand j’ai vu que Minor Threat étaient straightedge, (mouvance hardcore qui prône une vie saine, sans alcool et drogues – ndlr) ça m’a tout de suite parlé, j’étais exactement dans cet état d’esprit à l’époque.

Et tu t’es converti au straightedge alors ?

Nahhh, je l’étais déjà en fait, mais sans le savoir. J’ai su que ça existait à ce moment-là, que d’autres gens faisaient les mêmes trucs. Et je me suis dit : « bah ouais, c’est comme moi ». C’est devenu mon truc.

Et c’est quoi, être straightedge ?

C’est de se rebeller contre les drogués et le fait qu’on ne peut s’amuser que comme ça. Je pense que les drogues, ce n’est pas une façon de se rebeller. Tu peux l’avoir mauvaise, avoir envie de bouger les choses, mais les drogues n’aideront en rien.

Et c’est donc là que tu as bougé pour New York ?

Quand j’ai formé Dinosaur personne à Amherst ne nous aimait. Tous les clubs nous ont blacklisté. Et pareil à Boston. On était une bande de jeunes trous du cul qui jouaient trop fort. Mais je les comprends hein, si tu joues comme un malade, les gens se cassent et n’achètent plus à boire. Tu déranges. New York, c’est le seul endroit où on s’est senti acceptés. Ce n’était qu’à trois heures de chez nous, on y allait beaucoup.

 

« Je ne pensais pas avoir de gosse un jour »

 

C’est comment, Amherst. La classe moyenne ?

Ouais, la classe moyenne. Tout les parents de mes potes étaient profs. Il y a plus d’étudiants qu’autre chose à Amherst. Mon père était dentiste. Ouais on était tous de la classe moyenne.

Et ce n’était pas vraiment pour toi alors.

Si, peut-être, mais j’ai consciemment pris la décision que je n’aimais plus personne, donc je les ai tous mis à distance. Je voulais faire mon chemin tout seul.

Tu ne te sentais pas un peu seul, du coup ?

Nahhh, je n’avais juste pas envie de faire comme les autres. J’avais quelques potes, hein, mais tout ce truc sur la popularité, ça me gavait.

À l’école, ça allait, tu avais de bonnes notes ?

Ouais j’étais très bon en maths. Pour le reste, ça allait aussi.

Tu as été à la fac ?

Oui.

Longtemps ?

Quatre ans.

Pour étudier quoi ?

Rien de particulier… (manifestement, J n’a pas vraiment de parler de son parcours scolaire. Repassons à un sujet sûr : la guitare)

Quand as-tu décidé de retenter ta chance avec la guitare ?

C’était à 17 ans, quand on a formé Dinosaur. Je voulais monter un groupe et je ne connaissais aucun bon guitariste, du coup j’ai décidé d’être mon propre guitariste. Comme ça je pouvais écrire mes chansons et les jouer comme je le sentais. J’étais assez bon à la batterie pour pouvoir leur apprendre à jouer les chansons.

Ça m’a toujours fait marrer, ton background punk couplé à ton acharnement à faire des solos.

Ça m’a jamais embêté. On était un groupe de hardcore mais je voulais faire quelque chose de nouveau, et ma relation à la guitare est basée sur les solos, pas les accords. Quand je ramasse une guitare, je fais instinctivement des solos. Pour écrire des chansons, bon, je bien suis obligé de faire des accords.

Avoir un gamin, ça a changé ta vie ?

(amusé par la question) Yeah.

Comment ça ?

Je ne sais pas. C’est un truc totalement différent, tu changes de perspective sur un tas de trucs. Tous les jours, il se passe quelque chose de différent.

C’est peut-être un peu bizarre comme question… mais t’étais heureux de son arrivée ?

Quand il est arrivé j’étais flippé, bien sur. J’avais pas réfléchi à ça… et je ne pensais pas avoir de gosse un jour quoi.

 

« Breaking Bad, c’est vraiment difficile à regarder »

 

C’est quoi le souci, les responsabilités qui en découlent ?

L’idée-même d’amener quelqu’un dans ce monde. C’est quelque chose qui n’était pas censé m’arriver. Ma femme le voulait vraiment. Je n’y pensais pas vraiment jusqu’à ce que je sois devant le fait accompli…

La question fatidique… Es-tu un bon père ?

Je ne sais pas. (il rit) Ça, on ne le saura que dans quelques années.

Et tu aimes ça ?

Ouaaaais c’est cool, tu ne t’ennuies pas, il se passe toujours quelque chose. C’est juste cool de traîner avec lui (en VO : « He’s just a cool person to hang out with »).

Et d’ailleurs, au niveau politique, tu te places où ?

Mhhhh, je n’ai pas d’opinion fixe. Je crois que chacun doit travailler sur soi pour s’améliorer, et dans ce cas là les choses iraient mieux. Un truc du genre. J’espère qu’Obama gagnera car c’est génial qu’il ait été élu, il mérite un peu plus de temps j’imagine.

Et tu fais quoi quand tu penses pas musique ? Je crois savoir que t’adores les séries télé.

Je regarde énormément la télé, j’en ai presque besoin pour écrire. Pareil, en tournée, télé.

Tu mâtes quoi au juste ?

Des séries, que je télécharge parfois. J’en ai vu tellement… je ne suis pas très sélectif. Récemment, j’ai vu Battlestar Galactica, Louis CK. Breaking Bad c’est vraiment difficile à regarder, ça me fait mal. Je regarde dix minutes et je dois m’arrêter, je reprends le lendemain, et ainsi de suite. C’est l’une des séries les plus violentes. J’aimais bien The Killing, aussi, la première saison. J’ai trouvé la saison 2 vraiment déprimante donc j’ai tout arrêté.

J’ai également lu que tu vivais une espèce de crise existentielle perpétuelle. Tu confirmes ?

Possible ouais… peut-être.

Mhhh… tu aimes être toi ?

Ouais, bien sûr, c’est cool.

Mais pourtant, il y a pas mal de dégoût de soi dans les chansons de Dinosaur Jr.

Je ne trouve pas… et puis mes morceaux ne sont pas nécessairement autobiographiques.

Ou peut-être que ça vient d’un problème de communication ?

C’est les autres qui ont un problème de communication avec moi.

Et pourquoi donc ?

C’est la manière dont je leur répond, comment je réagis. Ils sont souvent parano, leur esprit va trop vite. Quand ils me rencontrent et que je ne réponds pas du tac au tac, ils me cataloguent instantanément chez les « trous du cul ». J’ai remarqué ça. Moi, tu sais, je ne me trouve pas particulièrement lent.

Tu préfères peut-être t’exprimer via la musique ?

Oui… j’aime bien… c’était quoi la question déjà ?

Laissons tomber. Te considères-tu comme un adulte ?

Dans un sens, je me suis toujours trouvé vieux, comme ces papis assis sur leur porche à chasser les gamins qui s’approchent trop. Mais bon, je sais bien que je suis quelqu’un d’immature.

Immature ?

Je suis très mauvais homme de ménage, et impossible de m’améliorer (l’idée l’amuse, on distingue un sourire sous la barbe).

Ça doit poser des problèmes à ta femme, ça, non ?

Ouais… ce que je nettoie en deux heures, elle le fait en cinq minutes. Peu importe le temps que j’y passe, c’est jamais aussi bien fait. Toute ma famille est comme ça, on a un vrai problème. L’essence du truc c’est que je n’ai pas envie de passer mon temps à ça, j’ai mieux à faire.

C’est dur d’accepter des gens autour de soi ?

Oui, plutôt je crois. Il faut partager des centres d’intérêts, avoir le même sens de l’humour que moi. Et surtout ne pas être débile. Au final, je pense que les gens ont plus de facilité à m’accepter que le contraire.

 

Album : I Bet On Sky (Jagjaguwar/PIAS)

Sortie le 17 septembre. 

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