Oui, ça dénature le propos du livre. Pour le commun des mortels, la visite d’une bijouterie grand luxe est souvent aussi ennuyeuse qu’un cours de minéralogie. Les diamants hors de prix y défilent sans que l’œil ne leur accorde une quelconque singularité. C’est en substance le problème qui agite au premier regard la musique 24 carats de Gatsby le Magnifique. , , , , , et : on est en droit de se demander si le film ne ferait pas la promo de la BO et non l’inverse. Comme Jay Gatz met les petits plats dans les grands pour conquérir Daisy, la production en lésine pas sur les moyens afin d’attirer les spectateurs. Il faut dire que le réalisateur Baz Luhrmann est un habitué de la démesure puisqu’il a tourné pour Chanel (entre 27 et 35 millions de dollars selon les sources). Cette fois-ci, pour son film comme pour son accompagnement sonore, le réalisateur semble avoir misé une nouvelle fois sur la bonne vieille recette de la rutilance fédératrice et l’opulence comme kérosène de nos rêves, quitte à noyer le moteur dans un trop-plein de champagne (et, au passage, à dénaturer le propos du bouquin de Francis Scott Fitzgerald dont le film est tiré).
Non, c’est le style de Baz Luhrmann. Avec un cinéma de l’emphase et du clinquant, le réalisateur australien aime brasser les styles avec splendeur, parfois même au risque de brasser de l’air. Dans les choix musicaux de ses films précédents, il affirmait avec véhémence à quel point son art réside dans la reprise de mythes historiques en des versions pop tout en froufrou. Rien de surprenant donc à ce que les aguicheuses Christina Aguilera, Lil’ Kim, Pink et Mýa viennent racoler tandis que les tourmentés Radiohead sonnaient en écho au destin tragique des tourtereaux de Romeo + Juliette. Pour illustrer le faste étincelant des « Roaring Twenties » et l’aisance millionnaire de Gatsby, convoquer les plus grandes stars des charts américains peut paraître cohérent d’un point de vue entertainment, surtout quand bon nombre de ces chanteurs et rappeurs incarnent à merveille le fantasme US cristallisé par l’expression populaire « from rags to riches ».
Peut-être, la démesure a parfois du bon. On retrouve finalement dans cette BO une culture de l’excès qui fonde l’Amérique. Car des déhanchements du King jusqu’aux poses tapageuses des rappeurs, les États-Unis ont fait de l’entertainment outrancier un art dans lequel ils excellent. En gonflant Gatsby le Magnifique d’une campagne de marketing XXL fondée sur le luxe jusque dans son habillage sonore, Baz Luhrmann veut coller à l’opulence d’une époque à l’aide d’artistes d’aujourd’hui, au risque de peindre un décor plus qu’un récit et de s’éloigner du texte original de Francis Scott Fitzgerald qui portraitisait le déclin du rêve américain. Mais quand on apprend que Jack White compte éditer sur son label Third Man Records des versions or et platine du vinyle de la bande originale du film, le froncement sceptique de sourcils ne peut s’empêcher de laisser place à un sourire amusé. Car quoi qu’on en dise, c’est parfois dans son goût gargantuesque pour la démesure que l’on préfère les États-Unis. Gold bless America.