Clan in da Front : le Wu-Tang et l’esprit collectif dans le rap

On a le droit de ne pas aimer Enter The Wu-Tang (36 Chambers), on peut admettre que ce disque n’est pas parfait, que ses beats ne sont pas les meilleurs jamais entendus et que le flow des différents rappeurs présents manque parfois de technique. Cependant, on ne peut pas contester son impact et son influence. Le premier album du Wu-Tang Clan, sortie en novembre 1993, fut en effet, entre autres, à l’origine d’une mutation qui allait asseoir la réputation du groupe pour les années à venir. Alors que le rap était déjà, depuis la fin des années 80, obnubilé par la conquête du grand public, RZA et ses comparses se montrent immédiatement plus sobres avec leurs sons sombres et atmosphériques, remettant New-York sur la carte du hip-hop. Un genre trop longtemps occupé par les sons G-Funk, nihilistes et sophistiqués de Dr.Dre et ses pairs.

Juger Enter The Wu-Tang (36 Chambers) sur la seule qualité de ses beats serait toutefois incorrect, injuste. L’album avait aussi pour originalité notable une forte tonalité « shaolin », naturelle pour des mecs passionnés de kung fu et de l’univers qui s’y rattache – le titre de l’album est d’ailleurs clairement inspiré par le film de Liu Chia-Liang. Mais si la postérité de cet album, plutôt que dans sa qualité sonore, tenait à la cohésion des MCs ? Après tout, quel peut être l’atout majeur de ce disque si ce n’est d’avoir su cumuler neuf fortes personnalités au flow immédiatement reconnaissable ? Au casting : Method Man, Ghostface Killah, Raekwon, Ol’Dirty Bastard, GZA, Masta Killa, Inspectah Deck, U-God et, bien sûr, RZA, qui est également le maître sonore de la bande. Bref, une véritable société secrète.

Que des N°10 dans leur team

Pour comprendre l’importance de cet élan de solidarité, un bref rappel s’impose. Avant le Wu Tang, les rappeurs défendaient avant tout leur petite chapelle. Aux Etats-Unis ou en France, personne ne faisait exception, que ce soit Kurtis Blow et Young MC pour les ricains ou NTM et IAM pour l’Hexagone. Parler au nom d’une cause, oui. Mais se fondre au sein d’un crew, non. Cela ne se faisait pas, ou peu. Il y avait bien ça et là quelques entités fortes (Digital Underground, N.W.A, Public Enemy, Ultramagnetic MC’s pour les groupes, Death Row et Def Jam pour les labels) mais jamais celles-ci n’avaient paru aussi soudées que le Wu-Tang.

Heureusement, ce vieux monde a disparu. Le soi-disant individualisme inhérent au rap étant désormais une idée largement périmée, les rappeurs n’hésitent plus aujourd’hui à former une collectivité, à se serrer très fort les coudes et à s’influencer mutuellement en toute décontraction. C’est le cas de Zoxea qui, avec Les Sages Poètes de la Rue et le collectif Beat 2 Boul, reconnaît volontiers l’influence du premier album du gang new-yorkais: « Ce premier album du Wu-Tang nous a montré à quel point la cohésion d’un groupe de potes pouvait apporter de la force et de la créativité dans un mouvement. Plus personnellement, grâce à un artiste comme ODB, la folie qui sommeillait en moi, en nous, a été décuplée, et d’un point de vue global, ça nous a poussé à être de plus en plus indépendants tout en s’associant intelligemment avec des forces majeures de l’industrie pour construire un business efficace et important. »

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