Ce billet d’humeur vient en réaction à l’article de Bayon, titré « », paru dans l’édition de Libération du 28 novembre.
Longtemps, je ne me suis pas couché de bonne heure, mais j’ai détesté Bayon. Lorsqu’acheter Libération était un acte naturel, du genre qui accompagne une tasse de café, je ne pouvais jeter un regard à ses articles sans appréhension. Au service culture de Libé régnaient quelques ténors : Philippe Garnier, Laurence Romance, Barbarian et surtout Nick Kent : le copain de Keith Richards, l’oracle du New Musical Express. Et Bayon. Je lisais et relisais ses papiers, confus de n’y comprendre rien. Je tentais désespérément de trouver le moindre sens à ses nébuleuses exégèses et ses élucubrations lysergiques, à cette suite de mots jetés en travers de disques dont j’étais incapable, sitôt ma lecture achevée, de déterminer s’ils étaient bons ou inaudibles. Pendant les 90’s, j’eus un accès de révolte devant un pensum de 4 pages sur Jean-Louis Murat ; mais, nonobstant, d’année en année, Bayon demeurait, imbitable et immarcescible.
Puis Libé vint à se flétrir, les meilleures plumes disparurent. Nick Kent, puis Philippe Garnier quittèrent le quotidien. Pas Bayon. Accroché comme la moule à son rocher, comme la tique au cul du cocker, il continuait à défier le lecteur, à faire un bras d’honneur à tout ce que le rock avait de populaire. July lui aussi s’en alla. Libé tomba dans les abysses, il n’y avait presque plus personne chez ce pauvre fantôme de service culture au raz du cercueil. Sauf Bayon.
Jusqu’à ce papier d’hier à propos de Jim Jones Revue, où l’on put assister à une étape de plus dans la mise en abyme. A bout d’énergie, Bayon regardait Bayon faire du Bayon. Le parangon du foutage de gueule : pas une phrase sensée, pas une virgule compréhensible, pas la moindre ébauche d’esquisse d’une tentative d’empathie pour le lecteur. Rien qu’un fatras de formules, vides, ringardes et ineptes : « Ramdam, piano de bastringue, boogie shuffle boogaloo à la redresse, c’est du rhythm’n’blues surligné au fard dans le viriloïde éructant à guitare juke joint », « En pochette, urbaine, prolo, des usines, des eaux sales, ponton «ivre», canal, terrain vague ». La boucle était bouclée, l’imposteur mis à nu, l’escroquerie avérée.
Heureusement ou malheureusement, dans quelques années Libé aura disparu. Bayon avec. Bon débarras.
Photo : Gaëtan Nerincx
Éric Ouzounian est un journaliste et essayiste français, ancien membre de la rédaction du magazine Best, avant de monter Rage en 1994. Il a co-écrit (Sens & Tonka, octobre 2003) et s’est attaqué à la question du nucléaire hexagonal avec (Nouveau Monde Éditions, mai 2008). Il a également écrit le documentaire Requiem pour l’industrie du disque diffusé en 2004 sur Arte.