Ils sont un sacré paquet à devoir une fière chandelle au gars McGee. Jesus & Mary Chain, Teenage Fanclub, Boo Radleys, Super Furry Animals, Oasis, My Bloody Valentine, Primal Scream, Kevin Rowland, The Hives, Ride, tous ont croisé le chemin de ce rouquin, écossais pur sucre, à qui rien ne devait sourire. Son autobiographie est le récit de la folle aventure d’un type qui lance un label indé sans cacher ses envies de conquérir le monde. Un petit punk avec une grande gueule, qui finira tout de même par façonner, un peu, son époque. Il le dit lui-même après sa rencontre avec Andrew Loog Oldham, le mec qui a « fait » les Stones : « Moi, je ne suis responsable de rien, éventuellement d’avoir été à l’origine du shoegazing ». C’est déjà quelque chose, mais Alan McGee la joue modeste. Un bon vieux gars de la working-class à l’anglaise, quoi. Devenu millionaire grâce à Sony (qui a racheté Creation) et au sommet de la sphère pop après les deux concerts d’Oasis à Knebworth, il regrette aujourd’hui de ne pas avoir quitté l’aventure à ce moment-là. Mais pas d’être allé à Downing Street pour booster la popularité de Tony Blair, d’avoir découvert Glasvegas des années plus tard (preuve que le mec reste à l’affût) et d’avoir envoyé paître les plus grosses majors.
Alan McGee, cela dit, n’a jamais été jusqu’au bout du trip rock. Il ne s’est jamais piqué (contrairement à Pete Doherty, dont il est un peu question ici). Le créateur de Creation, Poptones et aujourd’hui 359 Music n’est pas Iggy Pop, ni Ian Curtis. Il a beau avoir occupé le poste de manager des Libertines, il est parvenu à garder la tête froide. Alan McGee est, au final, un mec qui a eu du bol, tout en donnant de temps en temps un coup de pied au cul du destin. Ce qui ressort de Creation Stories, ce sont des années de fêtes, d’alcool et de cocaïne, mais aussi, l’histoire d’un mec qui arrive en avance à un concert où il ne devait pas être et découvre Oasis. Peu de sexe ici, mais des anecdotes en pagaille (Bill Clinton qui squatte la baraque) des rencontres (Michael Jackson qui se fout de sa gueule dans un avion) et une certaine idée de l’industrie de la musique. Celle qui n’existe plus. Celle qui signait des artistes simplement car leur musique était bonne. Rien de plus. En 2013, c’est déjà énorme.
S’il ne s’agit pas de verser dans l’utopie ou de revivre le passé (McGee lui-même n’a jamais relancé Creation et, avec son nouvel label 359 Music, verse dans un registre totalement différent, plus folk, plus pop, moins sauvage) il y a ici des leçons à tirer. Creation, c’était des poignées de main en guise de signature, un partage à égal des profits, un bureau rebaptisé le Bunker, des gens qui arrivent le matin… quand la soirée de la veille n’est pas terminée. La preuve, la passion peut payer. L’ambition aussi. Alors que les automatismes d’aujourd’hui sont les mêmes en indé qu’en major (le clip qui doit buzzer à tout prix, ce genre de trucs) l’image de McGee âgé de 25 ans, moitié bière moitié naïveté pure, envoie un message : tu peux y croire et convaincre les autres, qui te suivront, et ainsi de suite jusqu’à remplir les stades. Bien sûr, tout était différent dans les années 90. C’était avant Internet et les One Direction. Mais si la musique ne sert plus à rêver, alors à quoi bon ?