Veuillez nous excuser d’avance pour la liste qui va suivre, mais pour bien comprendre, il faut déjà se rendre compte. Cette année, entre le premier janvier et une moitié de décembre, nous avons vu arriver dans les bacs les albums de Skrillex, New Order, My Bloody Valentine, Foals, David Bowie, Nick Cave, Justin Timberlake (deux fois), Depeche Mode, The Strokes, Lil Wayne, Yeah Yeah Yeahs, Phoenix, The Stooges, Daft Punk, Primal Scream, Vampire Weekend, The National, Queens Of The Stone Age, Kanye West, Jay Z, Franz Ferdinand, MGMT, Arctic Monkeys, Kings Of Leon, Pearl Jam, Paul McCartney, Arcade Fire, R. Kelly, Eminem. Sans oublier Lady Gaga, Miley Cyrus, Katy Perry et Britney Spears. Bref, l’année fut riche de cette trentaine de retours plus ou moins gagnants. En amont de ces sorties, le résultat est évident : pas une semaine qui défile sans son lot d’annonces. Et, forcément, des découvertes potentielles passées sous silence.
« Côtê industrie, j’ai l’impression que cette année a été relativement excitante au niveau du secteur musical », avance Michael Turbot, label manager de la nouvelle structure « indé » ALSO chez Sony. « Certains disques ont clairement donné envie aux gens de retourner en magasin, a priori jusqu’à cet été la musique a été le secteur qui a le moins chuté à la FNAC dans le secteur de la culture ».
DU BRUIT, ENCORE DU BRUIT
On pourrait presque parler d’un bilan positif donc, du moins au premier abord, pour l’industrie. Mais comment expliquer, si explication il y a, le nombre affolant d’« albums-évènement » sortis cette année ? Christophe Moracin, du label Domino Records (qui a notamment sorti Arctic Monkeys et Franz Ferdinand cette année) pense que « dans la majorité des cas, ce sont avant tout des hasards de calendriers, les groupes finissent leur disque et le sortent assez rapidement de nos jours ». Mais il nuance : « Peut-être que les maisons de disques ne peuvent plus décaler une sortie de disque comme par le passé, sont moins en position de force face aux artistes et aux managements. Si Kanye veut sortir un disque, tu le sors. Point ».
Même son de cloche, ou presque, du côté de Jérôme Bonnetin, programmateur musical au Mouv’: « Je pense que la chute vertigineuse des ventes d’album en 2012 a certainement poussé les labels à sortir leurs grosses cartouches ». Reste que 2013, pour Michael Turbot, ressemble tout de même aux années précédents niveau blockbusters, avec quand même l’impression « qu’on en a entendu beaucoup plus parler ».
S’il n’y a évidemment pas de grand complot illuminati derrière cette profusion de sorties dites « importantes », on devine plusieurs raisons à celle-ci. Au-delà de l’attente suscitée par certains albums (David Bowie n’avait rien sorti depuis 2003, Daft Punk depuis 2005 ou Depeche Mode depuis 2009), on trouve deux facteurs déterminants. Le premier est purement musical : ces disques ont, en grande partie, été considérés comme de bons disques, notamment dans les colonnes de DumDum. Deuxièmemement le travail qui a été fait sur ces disques de la part des artistes et des maisons de disque a dépassé le cadre traditionnel que Michael Turbot décrit ainsi : « Une ou deux journées promo + un Grand Journal + une tournée + de la radio + de la pub TV et puis basta. Tous ces disques ont été travaillés très en amont pour recréer ce qui a un peu disparu depuis longtemps : l’impatience suscitée par l’attente d’une sortie d’album ».
Il prend ensuite l’exemple de Daft Punk, dont le single « Get Lucky » est numéro 1 en France sur 2013 : « C’a été un vrai jeu de piste. Personne ne savait rien d’autre que ce que le groupe voulait bien donner, et l’album n’a pas leaké. Et il y a aussi eu quelques coups de genie de communication comme celui de Stromae autour de la sortie de son titre ‘Formidable’ ».
UNE ANNEE SANS DECOUVERTE
Hasard du calendrier ou non, l’industrie connaît chaque année de nouveaux bouleversements. Des albums qui doivent exister dans l’iPod et dans les bacs plus longtemps. Des sorties également rapprochées, quitte à ce que certains albums se cannibalisent (les ventes de Katy Perry et Lady Gaga, souffrant au moins autant d’un cruel manque de qualité que d’une sortie trop rapprochée). Et Lorde dans tout ça ? Et Disclosure ? Deux révélations parmi d’autres, en tête des charts l’espace d’un court instant. L’année ne fut pas simple pour les newcomers. Christophe Moracin : « Inévitablement, les medias ont pour certains mis de coté leur aspect défricheur car il fallait parler de ces sorties d’artistes inévitables. Ceci est valable pour le public : le temps que tu passes à écouter ces grosses sorties par envie, curiosité, pour te faire son avis, tu ne le passes pas à chercher une nouvelle pépite ».
On les compte sur le doigt d’une main, les élus qui ont fait le sacro-saint « crossover ». « Il y a eu très peu de groupes qui ont littéralement explosé comme il y a en a eu les années précédentes, avec Two Door Cinema Club, Alt-J, Black Keys, The XX ou Metronomy », affirme Turbot. « Il suffit de regarder le top 100 des ventes de 2013, tu n’as quasiment que Asaf Avidan et Woodkid qui ont réussi à vraiment ‘breaker’ ».
L’autre souci, de perception cette fois, vient du fait que tous nos « blockbusters » se sont développées avant Youtube, iTunes ou Spotify, à des époques où le succès se mesurait en nombre d’unités écoulées. « Les jeunes pousses ne peuvent plus aujourd’hui être mesurées sur la base des sorties d’albums, qui semblent presque appartenir à un autre âge », renseigne Jérôme Bonnetin. « Buzz, nombre de vues pour les clips, playlist en ligne… la manière de consommer la musique change et le public en quête de découvertes a déjà modifié ses habitudes ». Si 2013 fut une année compliquée pour ton groupe de garage dubstep, ne t’attends pas nécessairement à ce que les choses soient plus simples pour toi après Noël.
LES ESPOIRS FRANCAIS
Et justement, qu’attendre de 2014 ? Notre classement des meilleurs albums n’est pas encore bouclé, que déjà, l’impatience nous gagne. Car nous avons vécu une folle année, tout de même. Et donc, la prochaine sera-t-elle nécessairement tristoune ? Du côté du label Domino, on parie « qu’il n’y aura pas de Random Access Memories Volume 2 ou de The Revenge of the Reflektors, et que c’est plutôt du côté des tournées et des festivals que cela va être imposant ». Côté Sony, on parie sur le bleu-blanc-rouge : « Vu tous les nouveaux groupes qui ont sorti des EPs super excitants, je pense que 2014 va être une année où ça va très clairement violemment jouer des coudes », relance Turbot.
« Il y des labels français incroyables qui commencent à faire parler d’eux et qu’il faudra suivre de près : Entreprise, avec Moodoid et Juniore, Animal Factory avec JC Satan et Rhume ou Future avec Pegase ou Disco Anti Napoleon ». Il conclut : « Quand tu vois comment des groupes comme Kid Wise ou We Are Match travaillent comme des chiens sur tous les plans : la technique vocale, la scénographie, les clips, la communication sur les réseaux sociaux. Tu te dis que 2014 risque d’etre un super cru. Et ça va se bagarrer ». Et à y regarder de plus près, hormis Mogwai, Breton, St. Vincent ou les Dum Dum Girls (qui ne sont en rien des « blockbusters ») aucune grosse tête n’a prévu de faire son retour pour le premier trimestre 2014. Les newcomers vont devoir se la donner. Sous le sapin, les gants de boxe.