Quiconque voudra se familiariser avec Corsicana Lemonade, sans trop chercher à savoir qui se cache derrière White Denim, fera certainement l’erreur suivante : comparer les texans avec leurs célèbres compatriotes de l’Ohio, les Black Keys. Et si elle est vécue comme une découverte, la confrontation s’accompagnera de déclarations à l’emporte-pièce. Du style : « Ça sonne comme les Black Keys », « The Black Keys l’ont déjà fait »… Soit, mais qu’on se le dise : les White Denim ne sont pas les Black Keys.
De loin, White Denim pourrait être considéré comme le cousin putatif des Black Keys. Sauf que James Petralli et sa bande n’ont pas attendu les cartons qu’ont été Brothers, en 2010, et El Camino, l’année d’après, pour se mettre au pop-blues d’aujourd’hui. Attitude que l’on pourrait reprocher, par exemple, au skater boy californien Hanni El Khatib (et à d’autres), qui joue dans la même cour mais pas avec les mêmes billes. Bref, surfer sur le courant d’un blues édulcoré n’a jamais été un plan de carrière viable pour White Denim. Et plutôt que de prendre le train en marche, le trio en est en fait l’un des locomotives. En 2005, sans trop se poser de questions sur ce que serait le rock de demain, le trio se met à l’écriture. Tous sont des vétérans de la scène rock d’Austin. Les mecs se connaissent bien et savent d’ores et déjà où ils iront. L’énergie est centrale, presque punk. Les guitares de James Petralli le sont tout autant. Elles sont d’ailleurs la pièce maîtresse des compos du groupe, à tel point qu’en 2010, le guitariste Austin Jenkins vient gonfler ses rangs. Leur discographie est à l’image du reste : inspirée et dispersée. De Let’s Talk About It, leur premier EP sorti en 2007, à l’actuel Corsicana Lemonade, cinquième du nom, on a parfois un peu de mal à s’y retrouver.
Rock à papa, blues-pop donc, arrangements psychédélique des beaux jours (ici encore, Tame Impala n’est pas loin) et même, parfois, prog-rock : White Denim est une sorte de digest contemporain d’un demi-siècle de ROCK. Pourtant, difficile de dégager un véritable hit de ce joyeux bordel. On dénombre un petit paquet de refrains à immédiats, mais aucun contrat pub signé pour venter symboliquement les mérites d’un nouveau moteur hybride. Sans ambitions grand public, ni esprit underground chevillé au corps, White Denim continue son petit bonhomme de chemin. Et si Corsicana Lemonade semble en être le plus fidèle reflet, ce n’est que pour mieux tromper son monde jusqu’au prochain album. Si dans la forme, la griffe des texans reste voisine de celle du duo qu’on connaît, elle n’en est pas moins riche. Bien au contraire. Plus charnu, plus fourni, le rock de White Denim est plein comme un œuf, et l’omelette bave même un peu en dehors de la poêle (le mix de l’album a été fait Jeff Tweedy, de Wilco… ceci explique cela). Et même si « New Blue Feeling » ou « Pretty Green » sonnent comme les meilleurs titres des copains de l’Ohio, personne ne leur jettera l’opprobre. Pour preuve, Corsicana Lemonade notamment, titre éponyme, vient vite secouer la pulpe funk restée en bas et prouve que tous valent mieux que ça.
Ne manque qu’une reconnaissance totale pour parfaire le tableau. Parce que White Denim mérite d’être connu, c’est un fait. Mais les texans ont-ils vraiment besoin que le monde entier danse autour de leur feu blues-pop ? Ne préfèrent-ils pas le rôle de l’amoureux transi, éternel discret vivant dans l’ombre des belles gueules de la recré ? Sûrement. Les texans sont ainsi libres d’aimer, sans s’acquitter de la rançon du succès.