Chroniques

Tyler, The Creator Wolf

En 2011, alors que sortait l’incroyable Goblin, le jeune Tyler, The Creator n’était encore qu’un rookie vaguement aperçu à la tête du gang Odd Future. Avec un sens évident de la mise en scène, Tyler traçait à la tronçonneuse les contours du hip-hop à venir : un son introspectif, adolescent et sombre à mille lieues des lumières des diamants et du bruit des Maybach. Un éventrement en règle du rap Gucci qui n’a pourtant pas empêché les parasites de venir rogner la carcasse.

Car depuis, le loup s’est fait griller la priorité par les météores A$AP Rocky et Kendrick Lamar qui ont su capitaliser avec intelligence sur cette espèce de folie hip-hop en signant disques et mixtapes d’exception (sans oublier quelques juteux contrats). Et tandis que les deux nouveaux riches du rap US courraient le featuring prestigieux aux quatre coins de la planète rap, Tyler s’est fait plus discret musicalement, rappant presque uniquement avec ses sbires d’Odd Future, se contentant de squatter les télé-réalités et d’agiter son personnage de bouffon tourmenté.

Et c’est bien là le cœur de la musique de Tyler. Derrière une façade d’amuseur public préoccupé par les donuts, les chaussettes montantes et les conneries façon jackass, l’univers du rappeur imprime un mal-être rampant qui contamine chacun de ses morceaux. Instrumentation désarticulée, rimes douloureuses et cerveau en versus, Tyler est toujours le même « fuckin walkin’ paradox » et ses contradictions font magnifiquement battre le pouls de Wolf. En faisant de ses albums des thérapies musicales, le jeune loup prouve qu’il est bien plus intéressant reclus dans sa solitude que pris dans l’agitation de la meute. Et même si la parodie trap « Trashwang », tout en hurlements et coups de feu est amusante, les véritables chefs d’œuvre de ce disque lacéré sont à chercher dans les longues introspections de Tyler. Sur « Lone » et son orchestration pour big band, il déroule un récit fragmentaire articulé autour de la mort de sa grand-mère et livre une psalmodie complexe rappelant la longue séance psychanalytique de «  ». D’une rythmique de batterie fracassée et d’un naïf arpège de guitare, « Answer » évoque l’appel sans réponse de Tyler à son père avant de déraper sur une mitraille d’injures adressées autant à lui même qu’à son géniteur.

Tout comme le leader d’Odd Future s’embrouille dans ses alter-ego (Wolf, Salem, Sam), les morceaux ont ici des constructions plurielles. Du triptyque « PartyIsntOver/ Campfire/ Bimmer » aux caméos R’n’B de Franck Ocean et Pharrell Williams en passant par le dérapage neo soul de « Treehome95 », et plus encore que son prédécesseur, Wolf est un disque qui part dans tous les sens, avec intelligence et un certain humour. Et lorsqu’il s’agit de traiter de sa toute récente notoriété, Tyler envoie balader l’auto-glorification bling-bling en hurlant à ses fans hystériques qu’il veut juste qu’on le laisse acheter en paix ses putains de churros. Sur un tapis de piano, de cordes et de xylophones, « Colossus » peint les travers sinistres de la célébrité, l’admiration morbide et le public cannibale dans un morceau rappelant les fulgurances d’Eminem. Mais si le chant du loup évolue donc lentement pour s’adapter à sa situation de star, les images obsessionnelles et traumatiques restent néanmoins toujours l’élément constitutif de sa musique. Les escapades au bord du lac codéiné de « Awkward » font écho aux soupirs d’«  », issu de son précédent album, tandis que « IFHY » s’acharne toujours sur la même fille, celle de «  », de «  », de «  » et de «  ». Quoi qu’il en soit, Wolf renouvelle remarquablement son acteur principal en demeurant pourtant focalisé sur les angoisses qui le fondent. Reste à savoir si comme Jack Nicholson dans le film homonyme, Tyler parviendra à contrôler ses pulsions auto-destructrices une fois que la nuit sera tombée sur le phénomène Odd Future.

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