Chroniques

Top albums 2013 #10 Wavves

On aurait difficilement pu imaginer, lorsqu’il a démarré en 2008, que Nathan Williams ferait de Wavves une affaire aussi rondement menée : il a composé en 2010 et avec sa petite amie toute aussi bankable que lui, Bethany Cosentino (Best Coast), une pour Target, le mastodonte américain du hard-discount, avant de faire de même pour un show de MTV baptisé « I Just Want My Pants Back » (oui oui). Il a sorti instrumentales avec son frère Joel (« histoire de l’occuper », a-t-il déclaré par la suite) et a collaboré du Wu Tang-Clan. Pour ce nouvel album autofinancé (le précédent, King of the Beach, a failli tomber à l’eau après des embrouilles avec son label de l’époque, Fat Possum), il s’est adjoint les services de John Hill, producteur XXL qui a travaillé par le passé avec, entre autres, Rihanna, M.I.A et Santigold (et qui est responsable du « Waka Waka » de Shakira).

Message à l’attention des profanes : le genre de choses qui a fait connaître Nathan Williams. Des morceaux pas produits du tout, qui vous crachent à la figure de bout en bout. C’est en 2010, après deux albums crados, que cet espèce Bart Simpson punk prend un tournant majeur, avec . Accompagné de ses deux nouveaux acolytes, Stephen Pope et Billy Hayes (l’ancienne section rythmique de Jay Reatard) il découvre les joies de l’enregistrement en studio et nous livre un album de post-ado défoncé à tout ce qui traverse son regard (on parle quand même d’un type qui a attrapé la mononucléose en terminant toutes les bières laissées à l’abandon lors d’une fête). On trouve dans cette collection éminemment fun des petits hits pop-punk à la gloire de… rien (, «  ») et des délires foutraques et diablement efficaces («  », «  »). Nada mas.

Dès lors, la problématique de ce nouvel album est simple : comment fait-on, quand on s’appelle Nathan Williams, loser autoproclamé, pour continuer à exister après être devenu l’une des figures les plus cool d’un petit monde au bord de l’implosion et qui s’appelle encore « indie » ? En premier lieu, on écrit des hymnes hyper catchy, incroyablement catchy. Et comme on pouvait s’y attendre, l’ensemble est doté d’une production au cordeau. Ce qui est d’autant plus surprenant à l’écoute des deux premiers albums du garçon (on entend même un violoncelle. UN VIOLONCELLE).

Quarante-cinq minutes de Wavves en 2013, ça donne quoi ? Le virage pop-punk 90’s est clairement assumé, et les excentricités de King of the Beach sont remisées au placard. Certains morceaux, comme « Cop » et « Everything is My Fault », sont plus paisibles et démontrent que Williams a acquis quelques nouveaux galons de songwriter depuis 2010. Il a également appris à moduler temps forts et temps faibles au sein d’un même album, ce qui fait passer la pilule de ces trois-quarts d’heure en compagnie de Wavves. C’est en soi un petit exploit.

Le tout déborde de bonnes idées tant dans l’écriture que dans la production, si bien qu’il est tout à fait possible de traverser l’album sans se rendre compte de ce qui se passe à l’intérieur des chansons. L’insouciance de King of the Beach laisse place à ce qui ressemble à un assez gros trou noir. Toujours racontées à la première personne, ses histoires de Peter Pan dysfonctionnel sont entourées d’une sorte de brouillard éthylique (et il le stipule clairement sur un bon tiers des morceaux). Et surtout, il se déteste tellement, voyez, qu’il supplie presque une nana de le rouer de coups dans « Beat Me Up ». Il chante également « everything is my fault » dans une séquence inquiétante d’auto-flagellation. Sur « That’s On Me » (« c’est ma faute »), même combat : « I don’t believe in anything ». « The world is my enemy », lance-t-il enfin sur « Paranoid ». Si les instrumentaux n’étaient pas aussi explosifs, on appellerait sans doute SOS Suicide.

D’un côté, on peut se demander si la haine de soi et le nihilisme sont devenus le fond de commerce de Williams. Surtout, est-il possible de le croire lorsque, au détour d’un couplet de « Demon to Lean On », il déclare « no hope and no future » ? Mais de l’autre, on remarque que Williams ne se prend jamais au sérieux. Il n’utilise pas, ou plus, ses mésaventures d’éternel adolescent paumé pour les transformer en fables (après tout, quoi de plus joyeusement absurde que cette histoire du « roi de la plage »?) comme le faisait si bien l’une de ses idoles, Rivers Cuomo. C’est un peu ça, le mystère de cet album : Williams utilise-t-il, par cynisme, cette image dont il est désormais pleinement conscient, ou bien l’ambiance lourde qui sous-tend l’intégralité des morceaux vient-elle de l’intérieur ?

Quoi qu’il en soit, on pourra bien retourner dans tous les sens, aucun groupe, ces dernières années, n’était parvenu à dépasser le lourd héritage des sacro-saintes 90’s avec autant de brio et de singularité. Nous sommes peut-être en 2013, Nathan Williams est peut-être «  » pour l’éternité, mais Wavves est mieux que jamais une affaire qui roule.

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