On ne sait pas trop quel message il veut transmettre, Kevin Parker, avec ce « Gotta Be Above It » sur lequel il s’acharne au point de s’époumoner. La mantra de ce morceau d’ouverture nous replonge dans le grand bain de son premier album avec Tame Impala, Innerspeaker, daté 2010 : synthétiseurs distordus, grooves fleuris, percussions atomiques et de l’écho, plein d’écho, des océans d’écho.
Retour sur ce « Gotta Be Above It ». Mais gotta be above quoi, Kéké ? Si l’on s’attarde sur les paroles, elles font écho (encore) au titre de l’album, Lonerism. « Je fermerai les yeux et ferai en sorte que rien ne m’affecte » ou encore « Je dois me battre pour rester face à la foule ». Enfin : « Je ne peux pas les laisser me renverser ». Ce « Be Above It » qui ouvre les hostilités, c’est Kevin Parker vs The World. Le titre de l’album, Lonerism, est une sorte de néologisme qui combine le mot « loner » (le solitaire) et le suffixe « ism ». Ce qui ouvre grand le champ des possibles quant à l’interprétation du titre : ce « ism », entend-il élever la solitude au rang de dogme, de doctrine ? Une nouvelle manière de vivre sa vie ?
Le plus impressionnant dans ce Lonerism, c’est le travail de Parker sur la notion de psychédélisme, qui semble s’être diluée dans les techniques de songwriting et de production du bonhomme. Synthés vintage par-ci, écho retravaillé par-là. Pour Parker, pas besoin de s’équiper d’un sitar, d’engouffrer des planchettes entières de LSD et d’arborer des signes « peace » pour teinter son album d’un vrai truc psyché. L’évasion, la rêverie, dans ce disque ce sont les grooves qui la provoquent. C’est un psychédélisme de l’ennui, des mondes dénués de sens qui se forment lorsque l’on ne dort qu’à moitié. Voyez plutôt comment Parker s’y prend sur « Elephant », avec son univers composite et décousu typique du rêve : les guitares sont menaçantes et le champ lexical tend vers le sombre (« dark », « scared », « fear », « disappear ». Paroles ). Très cartoonesque, ce (mauvais) rêve sombre ensuite dans une plage électronique où la basse et la batterie, le squelette du morceau, prennent le relais de la narration. La chanson se termine finalement abruptement, comme on ouvre les yeux au petit matin. Que nous apprend ce rêve ? Rien du tout. Que nous apprend « Elephant » ? Que Parker a franchi un sacré palier niveau songwriting, depuis les délires garage-psyché de leur premier EP sur lequel figure le désormais classique « Half Full Glass Of Wine ».
Il est d’ailleurs amusant de noter que Parker, comme pour refléter ce fameux Lonerism, a écrit ces douze morceaux tout seul, et qu’il n’a invité ses petits camarades à enregistrer leurs parties qu’après avoir bouclé l’étape de composition. Car Tame Impala est depuis toujours un projet solo. Et si cet album défouraille, qu’une véritable esthétique de la fête s’en dégage, Kevin Parker n’est pas pour autant ce qu’on appellerait un gai luron. Control-freak et solitaire, le gusse. Comme il me le racontait il y a deux ans, lors du tout premier passage parisien du groupe : « Je ferais une très mauvaise rock star. Je ne sais pas comment ces types arrivent à faire les dingues sur scène, j’ai une retenue. Je me sens vulnérable et parfois mal à l’aise devant un public » (cette forme de répulsion pour la scène pourrait d’ailleurs expliquer les paroles de « Be Above It » ).
Doit-on voir cette démarche comme une célébration de la solitude ? « I don’t need them and they don’t need me », lance-t-il sur « Why Won’t They Talk To Me ? », chanson où il aborde l’isolement comme source de sécurité et de bonheur. On pense également au premier single d’Innerspeaker, le pourtant éminemment festif « Solitude Is Bliss » qui se traduit par « la solitude, c’est merveilleux ». On se dit bien vite que Kevin Parker est aussi passé docteur ès brouillage de pistes.
Mais comment alors expliquer la chaleur qui se dégage de « Mind Mischief » ? Quand à deux minutes tout pile, le refrain démarre dramatiquement, en chute libre. Parker, son beat militaire et ses jolies guirlandes de guitare vous engourdissent avant d’asséner le coup final avec un « she remembers my name » purement et simplement jouissif. Ce timbre hésitant dans la toute première phrase de « Feels Like We Only Go Backwards » (élue meilleure chanson de l’année par DumDum, consultez la liste ici) ? Ce synthé vintage qui surplombe le morceau ? Et cette basse qui vous fait des léchouilles ? La chanson prend possession de vous, si vous osez lui laisser les clés. « Sun’s Coming Up (Lambingtons) », qui ferme les hostilités dans un piano-voix cadencé où Parker semble anéanti, au bord des larmes, vous en arrachera quelques unes. À l’inverse de « I Don’t Really Mind », le final narquois en forme de doigt d’honneur de son précédent album (du genre « mon album déboîte mais rien à secouer »), Parker se met à nu au moment de clore Lonerism : « Playing his guitar while he’s dying of cancer / Oh my father why won’t you answer ? ». Comme un dur retour à la réalité (le père de Parker est décédé quelques semaines avant la sortie d’Innerspeaker) après des mois de tournée, des critiques dithyrambiques. On n’est pas loin d’être sur que ce morceau est le premier écrit par Parker pour cet album. Mais, comme il le dit : « I gotta be above it ».