C’est long quatre ans, lorsque l’on se lance dans l’embouteillage de la pop mainstream. Demandez à Rihanna ce qu’elle en pense, avec son sempiternel album de novembre, et d’autant plus depuis l’avènement de Lady Gaga, Nicki Minaj et Katy Perry. Ce n’est peut-être pas pour rien que pour les besoins du clip de « » , premier single de son deuxième album, Masters of My Make-Believe, Santigold se paie la tête de Gaga, Perry et Lindsay Lohan d’un coup d’un seul.
Les armes, donc. Santi White, de son vrai nom, revient dans une atmosphère où références underground et ambition grand public cohabitent bien mieux qu’en 2008. Un mélange des genres qu’elle a d’ailleurs pleinement embrassé avec Santogold et sous la direction de John Hill et Switch, la moitié de Major Lazer, qui, au passage, ont tous deux vu leur carrière prendre une nouvelle dimension depuis. Ses deux vieux compères sont de retour sur Masters, accompagnés d’une dream-team : Diplo, Boyz Noise, Buraka Som Sistema, Nick Zinner (guitariste des Yeah Yeah Yeahs), David Sitek, Ricky Blaze et Q-Tip
Avec un tel équipage hétéroclite, difficile de ne pas faire un album-patchwork. Et autant le dire de suite : Masters of My Make-Believe en est un, si bien qu’il est vain d’essayer de poser une étiquette dessus. D’un côté, certains morceaux ont une dimension indie ou new-wave, comme « This Isn’t Our Parade », « Disparate Youth » et « The Riot’s Gone ». De l’autre, sur « Big Mouth », « Pirate in the Water », « Freak Like Me », on hume clairement la patte dub et dancehall du duo Diplo/Switch. Patchwork, oui, mais jamais confus ou déroutant. Le liant, musicalement, se situe à deux endroits : d’abord dans les beats, au potentiel dansant, qui n’agissent jamais comme de simples accompagnateurs et parviennent à donner une couleur aux morceaux. Et puis cette voix ferme, qui reste à jamais droite comme un « i », figée, autoritaire, qui imprime à l’encre indélébile des refrains-slogans à deux doigts de verser dans le politique.
Car loin d’être ouvertement politisée sur Masters, Santigold a fait de la révolte sous toutes ses coutures un thème sous-jacent de l’album. Et Dieu merci, ces éclairs ne se trouvent que très rarement au premier plan des chansons (notamment sur « The Keepers » : « While we sleep in America / Our houses burning down »). La révolte, ce sont les attaques de guitare sur « Disparate Youth », le beat absolument imparable de « God From the Machine », et encore une fois, cette scansion bagarreuse, codée pour le dancefloor, inimitable. Santigold a évité le piège du concept-album militant : Masters of My Make-Believe est avant tout éminemment fun, dansant, joueur.
Elle sait se montrer vague pour demeurer fédératrice, comme sur la balade fougueuse et deuxième single de l’album, « Disparate Youth ». « We know that we want more / A life worth fighting for », chante-t-elle dans le refrain de cet hymne à l’espoir, le tout entrecoupé de « oh-ah » pour bien vous indiquer qu’il faut chanter, expulser et surtout, ne pas intérioriser le truc. Ce qui tient dans ce refrain, c’est l’autre tour de force de cet album : simultanément, Santigold parvient à jouer sur le terrain de la pop mainstream, à délivrer quelque chose qui a un minimum de sens, et à vous prendre par la main tout le long de l’album.
Sur la pochette, White incarne les quatre personnages : deux guerrières sexy au regard déterminé, prêtes à en découdre, un homme bien sapé, aux yeux sombres et confortablement sis dans un luxueux fauteuil, et enfin une figure presque napoléonienne qui ébauche un sourire. Un patchwork en forme d’écho à un album tour à tour conquérant, réjouissant, majestueux et mystérieux. Aussi bien dans les formes artistiques présentes que passées, communes ou exotiques, conscientes ou inconscientes.