Chroniques

Top albums 2012 #19 Molly Nilsson

Zlatané par-ci, zlatané par-là. J’imagine que vous aussi, la Zlatan mania vous a eu à l’usure. Visant le footballeur suédois Ibrahmovic, la gauloiserie lancée par Les Guignols n’aurait pas dû durer plus de trente secondes. Mais non, il fallait qu’elle entre dans le langage courant, consacrée la plume de journalistes sportifs sans imagination, tombant dans la gueule d’écoliers singeant des perroquets ou celle de piliers de comptoir peu inspirés, contents de comprendre la dernière blague à la mode. Il ne manquait plus que Libération fasse sa Une avec une accroche du genre « Comment Copé a zlatané Fillon » pour que la fin du monde, du journalisme et de l’humour ait lieu avant l’heure. Pas de bol, on y a échappé de peu.

Pour mettre un terme à ce mimétisme rasoir, pas d’autre choix que de remplacer le verbe « zlataner » par un autre néologisme. Je vous propose « nilssoner », inspiré par Molly Nilsson, suédoise elle aussi. Celui-ci, vous pouvez l’utiliser à l’envi mais pas dans n’importe quelle situation. « Nilssoner », verbe régulier, pourrait se définir ainsi : « Ébranler la sensibilité et l’âme des auditeurs au moyen de claviers vintage et d’un timbre de voix qui rappelle celui de Nico. » Le nom de Molly Nilsson vous dit sûrement quelque chose et pas parce qu’un suédois sur deux s’appelle Nilsson. En 2008, elle dévoilait These Things Take Time, son premier album. Déjà auto-produit via Dark Skies Association ; déjà sublime. Dessus, « Hey Moon », un titre qui vous rappelle enfin quelqu’un, et pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de John Maus. En 2011, le crooner maboul glissait une reprise copie conforme en duo du morceau susdit dans We Must Become The Pitiless Censors of Ourselves. Un hommage qui vaut cher tant les claviers du gandin John semblent doter d’une beauté étrange tout ce qui est repoussant.

History, le quatrième album de Molly, est sorti au premier semestre et, comme These Things Take Time, il m’arrive de l’écouter encore en boucle. Notamment les soirs où aux boîtes de nuit je préfère ma boîte de mouchoirs, pour défaillir en pyjama et chialer comme lorsque Birdy a appris qu’elle porterait un appareil dentaire jusqu’à 25 ans. Et pourtant, je ne suis pas dupe : la pose electro-pop, à plus forte raison quand l’artiste concernée habite Berlin et fraye avec le milieu de la mode, on a appris à s’en méfier comme de la peste. Maria Minerva et consorts, si vous nous lisez, ce smiley en forme clin d’œil est pour vous ;). Mais là, c’est involontairement que ses odes à la nostalgie servent la soupe à la hype. Et heureusement, on ne peut sérieusement accoler l’étiquette « so 2012 » à History. Même le classer dans le bac revival 80’s qui s’époumone depuis quelques mois serait imparfait tant sa new wave au baroque aigre-doux vise l’intemporalité.

Des mélodies éthérées et dépouillées, une voix lourde de peine ; chaque titre porte en lui ce contraste clair-obscur, accru par des paroles noires, évoquant l’ennui, la vacuité de nos vies. « The world will find me when the time is ripe / I’m never at home so call on Skype » lâche-t-elle sur « Hotel Home ».

Écoutez « Hiroshima Street », « I Hope You Die » ou « The Bottles Of Tomorrow », courte ballade sans boîte à rythmes avec ses deux voix superposées. Fermez les yeux, voici la scène en noir et blanc : une femme à la voix d’homme erre sur une plage abandonnée, de retour de Berlin où elle a passé trop de dimanches au Berghain, trop d’après-midis paresseux, portée par son fixie à Tempelhof. Cette nana, c’est Molly ; elle joue aux échecs avec la Mort, comme dans le Septième Sceau d’Ingmar Bergman. Entre suédois, ils se comprennent. Entre humains qui s’ennuient ou qui cherchent une once de sens à cette foutue vie, on la comprend.

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