Chroniques

The Limiñanas Costa Blanca

Lorsque l’on écoute un disque, confortablement assis dans son canapé ou moins confortablement debout dans le métro, il se passe parfois cette petite magie qui nous pousse à nous imaginer dans un contexte bien particulier. Écouter Scorpion Violente, par exemple, peut donner envie d’aller se balader en forêt dans une nuit noire et humide, la bave aux lèvres et la haine de son prochain chevillée au corps. De manière beaucoup plus cliché, on dénombre aisément les artistes qui nous déplacent le long de la côté californienne, cheveux aux vents au volant d’une décapotable, aux côtés du prototype de l’autochtone adepte de surf aux cheveux blondis par le soleil. Cette musique, portée aujourd’hui par des groupes comme The Drums ou Sonny & The Sunsets, est souvent qualifiée de surf-rock. Pas con. Peut-on alors qualifier la musique de ce troisième album des Limiñanas de surf-garage ?

Car les clichés, on le sait, ont la vie dure. Mais point de Californie ici. Imaginons plutôt une virée démentielle à la Hunter S. Thompson au volant de la Baleine, le joint au bec, le flingue dans la boîte à gants et la blonde du siège passager dans un état proche de la démence, la Méditerranée en décorum. De l’Espagne à l’Italie en passant par Perpignan, ville d’origine de Marie (batterie) et Lionel (tout le reste), où le disque a une nouvelle fois été enregistré (on parle de leur garage, évidemment).

Ces Limiñanas sont définitivement un groupe à part dans le paysage du rock français. Signés sur deux labels américains, Trouble In Minds et Hozac (qui se partagent leurs sorties) sur la foi de deux singles balancés sur MySpace (!), le couple reste relativement peu connu de ce côté-ci de l’Atlantique, si l’on compare avec leur popularité aux US (bien aidés il est vrai par celle de leurs labels). On parle quand même d’un groupe inconnu ou presque chez nous qui a eu les honneurs (si l’on peut dire) d’une . Pauvrement distribués de par chez nous, ils ont quand même fini par attirer l’attention des rock-critics curieux de ce duo à la Bonnie & Clyde, ou, plus encore, à la Gainsbourg & Bardot. Un pied chez nous, et un pied là-bas, l’influence du Velvet s’étant faite grandissante entre The Limiñanas (2010) et Crystal Anis (2012). Deux disques regorgeant d’histoires bonnieandclydiennes, de «  » à «  ». Mais ces histoires d’amour-haine, de pertes, de ratés n’ont plus cours ici. Place aux souvenirs d’enfance d’un quarantenaire désabusé, et au psychédélisme triomphant.

L’album est construit autour d’un texte du frère de Lionel, Serge, intitulé « La Mercedes de couleur gris métallisé » et qui donne son titre au morceau central du disque. Des paroles toutes simples, souvenirs de fils de pieds-noirs espagnols immigrés en France, et un disque que les principaux intéressés décrivent comme « un road-trip dans l’Espagne des 70’s/80’s, des souvenirs de famille, et plus globalement d’un disque méditerranéen. Le disque raconte les virées familiales dans l’Espagne de mon enfance, dans cette bagnole que mon père avait achetée pour dépanner un ami. Elle avait des sièges en cuir rouge, et on écoutait Ike et Tina Turner sur un lecteur à cartouches ».

Méditerranéen, certainement. Car en sus du phrasé gainsbourrien, on découvre ici l’influence de l’inusable Ennio Morricone, et plus encore que l’Espagne, c’est bien l’Italie qui est convoquée. En composant ce disque, ces deux fondus de cinéma italien regardaient et écoutaient beaucoup de choses liées au duo Leone / Morricone, et Lionel bloquait sur Conversations avec Sergio Leone, de Noël Simsolo. Ce qui donne ce morceau en italien dans le texte, « I miei occhi sono i tuoi occhi », écrit et chanté par Paula de JC Satàn (groupe dont on mesurera un jour l’importance dans le rock d’en France aujourd’hui). Il y a aussi la chanteuse italienne Francesca Cusimano, sur « Votre côté yé-yé m’emmerde », contre-pieds à certains de leurs anciens titres et aux étiquettes que l’on pourrait un peu vite leur avoir collé. Versant Velvet, entre l’instrumental « Alicante », et les envolées de sitar de « My Black Sabbath », le Lou est dans la bergerie.

Alors que l’on regrettait que le dernier album de Sébastien Tellier soit une bande-originale sans film, sans lien émotionnel auquel se rattacher. La musique des Limiñanas a toujours été hautement cinématographique. Alors, de « Rosas » à un exil à « Liverpool » en passant par Milan, on accélère, on reprend une rasade de whisky, et on regrette, au son de « La Mélancolie » ce temps de l’enfance, de l’adolescence, où les choses étaient plus simples mais, peut-être, sans doute, moins belles ni intéressantes.

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