« Take your time so they say/It’s probably the best way to be ». Sur des dentelles de guitare acoustique, Kurt Vile ouvre le sublime « Too Hard » d’une ligne qui sonne comme une profession de foi : prendre son temps, regarder les choses se faire et les laisser passer. Après le magnifique Smoke Ring For My Halo et les fulgurances de titres comme « », le chanteur de Philadelphie a donc décidé de fixer à 1h55 le compteur de son nouvel album. Et si ce long format détonne à l’heure d’une écoute musicale distraite et fragmentée, Vile ne se prend pas pour le Justin Timberlake du folk.
Kurt Vile ne cherche pas à incarner quoi que ce soit, et c’est là toute l’élégance de son humilité. La beauté que peint sa musique réside dans la simplicité et la durée. Paresser quand on a des millions de choses à faire, passer du temps avec ses proches (la vidéo de « » avec sa fille) et regarder avec amusement le monde s’agiter (la vidéo de « ») : trois préceptes que ce disque met en application avec un détachement délicieux. Dès lors, le format fleuve s’explique simplement par ce qui semble être ici une thématique : le réveil.
Car Waking On A Pretty Daze est un album qui s’allonge comme on s’étire le matin. Voyant les minutes défiler sans pour autant quitter la douceur du lit, Kurt Vile fait de ce « réveil joliment confus » « un univers assez hypnotique, qui peut te calmer si tu es quelqu’un de très occupé », comme il le racontait à DumDum. D’une voix ensommeillée, le « Childish Prodigy » plane sur des morceaux qui tournent sur eux-mêmes, s’agitent sous les couvertures, mais restent bien droits dans leurs bottes de pop-songs. Pas de longues expérimentations instrumentales ou de structures en tiroirs, juste des chansons qui s’épanchent amoureusement dans la paresse des matins sans fin, cahotées entre le songe et le réel.
Mais ce cinquième album de Kurt Vile n’est pas pour autant un disque musicalement feignant. Des inflexions vaguement glam de « KV Crimes » aux longs solos de « Wakin On A Pretty Day » en passant par la langueur rêveuse de « Girl Called Alex », les nuances sont conjuguées pour faire de ce disque une œuvre dense, changeante et fine. Avec un incroyable sens de l’économie harmonique, le slacker aux cheveux longs tourne éternellement autour des mêmes accords, développant une foule d’idées musicales construites sur des guitares toutes en ornementations. Superbe réussite de l’album, « Too Hard » voit Kurt Vile adresser à sa famille une magnifique déclaration de sagesse et de raison, tandis que « Shame Chamber » fait penser par son phrasé et sa rythmique à une version somnolente du « Vicious » de Lou Reed. Entre soupirs de guitare slide, boite à rythmes discrète et chœurs féminins, « Goldtone » enfle durant plus de 10 minutes puis laisse résonner une boucle de guitare perçante qui clôture l’album par une version laidback et tendre de la sonnerie d’un réveil-matin. Même si Waking On A Pretty Daze est son cinquième album et qu’il a trente-quatre ans, Kurt Vile demeure finalement un ado tombé du lit traçant un parcours en bordure des autoroutes musicales, qu’il préfère longer à pied. Sa manière à lui d’éviter les embouteillages.
PS : il y a cinq exemplaires de l’album à gagner par ici.