Chroniques

Kevin Morby Harlem River

Avant de se lancer en solo, Kevin Morby avait l’habitude de se trouver au bon endroit, au bon moment. En tant que bassiste, il a livré avec Woods une ribambelle de jolis albums de folk-psyché jusqu’au dernier en date, l’excellent Bend Beyond. Woods, dont le chanteur Jeremy Earl est également le patron de Woodsist Records, à qui l’on doit quelques jolies sorties de la part de White Fence, Ganglians, ou encore The Babies. The Babies, fondé par Morby et sa colocataire de l’époque et membre des Vivian Girls, Cassie Ramone. Bref, on vous passe tout cet enchevêtrement de personnalités qui pourrait durer un moment encore. Si Kevin Morby n’avait que peu d’occasions de prouver son talent au sein des Woods, le garage adolescent des Babies laissait d’avantage transparaître ce dont il était capable. Et quoi de mieux qu’un album solo pour se faire un avis définitif sur le garçon ?

Harlem River n’est pas tout à fait le point de départ de la carrière solo de notre ami du jour puisque ces huit titres ont été composés sur un laps de temps de six ans. Entre Woods et The Babies, il n’a tout simplement pas eu le temps de s’y mettre, mais cela faisait un moment que l’idée le tracassait. Il l’avoue d’ailleurs lui-même : ses influences majeures sont des artistes solo (Bob Dylan ou Lou Reed), d’où son envie de s’inscrire dans cette lignée.

C’est finalement en quittant New-York pour s’installer à Los Angeles que Morby décide de prendre le temps d’entrer en studio pour donner forme à cet album. Et ce n’est pas par hasard qu’il a fait ce choix : ces huit titres ont été composés dans la ville de Lou Reed, où il a vécu sept années durant, et sont conçus comme un genre d’hommage, une déclaration d’amour à une ville à qui il dit devoir beaucoup. Une ville qui représente quelque chose de particulier pour le bonhomme puisque c’est là qu’a commencé sa vie d’adulte, lorsqu’il s’y est installé à l’âge de dix-huit ans alors tout droit débarqué de son Midwest natal.

« He’s full of charm, and definitely someone you would want to introduce to your mom ». C’est de cette façon que Noisey décrivait Morby lors d’une interview parue en décembre dernier. À l’écoute de Harlem River, on les croit sur parole puisqu’un album aussi joli, subtil et touchant ne peut définitivement pas être l’œuvre d’un mauvais bougre. Dans un registre finalement assez éloigné de ses précédents projets mais s’inscrivant dans une direction folk plus « classique », Kevin Morby livre ici la preuve du sacré talent qui l’anime. Les arpèges irrésistibles de « Miles, Miles, Miles » ouvrent l’album et annoncent toute la délicatesse dont il peut faire preuve. On se situe très loin d’une folk pépère et barbante : chaque instrumentation est subtilement travaillée, mais c’est surtout la voix de Morby qui retient l’attention. Légèrement éraillée, toujours inspirée dans la mélodie et dégageant quelque chose d’apaisant, on en vient à regretter que celui-ci n’ait jamais pu donner sa pleine mesure jusqu’alors.

« Sucker In The Void (The Lone Mile) » fait convoque clairement l’influence du Velvet Underground, mais c’est sur « Wild Side (Oh The Places You’ll Go) » que le chant de Morby se révèle des plus imparables. Avec « If You Leave And If You Marry » et « The Dead They Won’t Come Back », on se trouve dans une folk américaine plus traditionnelle avec arpèges, slide guitar et tout le tralala.

Mais c’est sur le titre qui donne son nom à l’album que ce dernier atteint son point culminant: « Harlem River », qui se réfère à la rivière qui sépare Manhattan du Bronx et dans laquelle Morby voyait quelque chose d’à la fois paisible et de presque tragique. On tient là un véritable petit bijou folk de neuf minutes, qui flirte par la même occasion avec les amours psychédéliques de Morby. Avec Harlem River Kevin Morby prend peu de risques et peine à atteindre les fulgurances qu’atteignent parfois ses autres projets. Mais l’enfant du Midwest nous gratifie tout de même d’un très bon album, touchant par sa simplicité et sa sincérité.

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