Chroniques

Johnny Marr The Messenger

C’est un peu le syndrome Mick Ronson, en fait. Le guitariste et arrangeur génial de Bowie s’était ramassé en solo avec force albums quelconques. Le constat est ici le même : quand on est un amateur de Johnny Marr devant l’éternel, il n’est pas compliqué de pointer quelques mauvais choix flagrants dès la première écoute. À commencer par cette production très brit-pop qui, sur le papier, fait sourciller et qui alourdit les morceaux. La plupart des chansons sonnent vieillottes et traînent leurs grosses batteries comme des boulets.

La plus grande (et seule?) réussite de ce disque réside dans le fait qu’il s’agit bien d’un album de guitariste, mais Marr ne se regarde jamais le nombril pour autant. Il utilise la guitare comme une machine à pop et ne la joue jamais technicien, les chansons sont construites comme des mille-feuilles de six-cordes. Quand tant d’autres dans le circuit rock peinent à se singulariser, Marr a ce don inestimable (doux Jésus, ces guitares sur « European Me »…)

Là où ça coince, c’est que si l’on connaît Johnny le grand et merveilleux guitariste, hélas, le chanteur est plus limité, parfois même embarrassant à l’écoute. Des morceaux tels « Lockdown », « Upstarts » et leurs « oh oh » incessants sont à ce titre très évocateur : ce genre de gimmicks pseudo-fédérateurs sont déjà affligeants quand on s’appelle Kaiser Chiefs, mais là, à presque cinquante ans et quand on n’est pas a priori en compétition pour le prix du plus grand groupe de stades, c’est déroutant. Côté chant, si on a connu pire, venant d’un arrangeur et compositeur aussi brillant, on est étonné de la platitude des mélodies de chant, quand derrière, les instrus tiennent parfaitement le coup. Prenez « The Messenger » : on imagine sans aucun mal Morrissey au micro, trouvant un chemin alambiqué. Bernard Sumner, ancien Joy Division/New Order et comparse de Marr au sein d’Electronic, aurait lui aussi apporté un certain second degré tordu à l’affaire, mais là c’est un moment assez pénible et sans grand intérêt.

Johnny Marr a sa mystique en tant que guitariste, mais en tant que chanteur, tout bascule dans le premier degré. Les paroles sont plus ou moins politiques et commentatrices de l’époque ou de l’actualité, pas de charme, de roublardise, de sous-entendus, ni de doubles sens. Comme sur « Generate! Generate! », sorte de critique plombante de la logique de rendement de la société capitaliste et de la soif du profit, toussa toussa. L’autre vilaine casserole du disque, « I Want The Heartbeat », qui sonne comme du sous Arctic Monkeys et, dans le texte, s’en prend au culte de la technologie de notre époque (« Get me your whole machine, technology, technology / Get me my whole machine, then switch it on again »). Mouais. Si nous sommes de tout cœur est avec lui pour dire que George Osborne (ministre de l’économie conservateur britannique et riche héritier, instigateur des coupes budgétaires sur les universités et tous les services publics) est un sale type très méchant, quand Johnny Marr nous en fait une cause en chanson, difficile de ne pas trouver ça gênant.

Le plus triste dans l’affaire, c’est que les deux dernières chansons du disque (« New Town Velocity » et « Word Starts Attack »), plus tranquilles un peu moins « contextualisées », passent beaucoup mieux que le reste. C’est plus naïf, plus instinctif, mieux écrit et produit. Qu’on ne se méprenne pas, si quelqu’un mérite le « Godlike Genius Award » du NME, c’est bien le père Marr (distinction déprimante s’il en est). Mais on se demande si, 25 ans après la séparation des Smiths, le guitariste n’aurait mieux fait de rester dans l’ombre.

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