Chroniques

John Grant Pale Green Ghosts

En 2010, le père Grant lâchait son premier essai, Queen of Denmark, auréolé d’une petite hype (album de l’année pour Mojo). Produit par Midlake et sorti sur Bella Union, la chose avait de quoi faire peur. Au final, il est devenu une sorte de choco-BN proustien, au sein duquel je venais me réchauffer au début de l’hiver ou à chaque coup de moins bien, comme un baume fait de douceur et de colère, de révolte personnelle et d’amour. Et avant la sortie de ce deuxième album, je m’y suis replongé avec toujours autant de bonheur, découvrant encore tel arrangement de violon, telle subtilité du texte et, plus étonnant, quelques douceurs électroniques. Des prémices, en fait.

Car l’homme est revenu de tout. Queen of Denmark était son manifeste d’homme libre, son cri du cœur. Addictions à la drogue et à l’alcool, homosexualité et rejet, le barbu passait tout au crible de sa plume, ne nous cachant rien de ses difficultés (passées) à simplement être. Et aujourd’hui, force est de constater qu’il est devenu, et qu’il a su se nourrir de ses douloureuses expériences passées pour mieux se lancer dans de nouvelles, musicales cette fois. Avec un soupçon d’ecstasy, se dit-on.

Oh bien sûr, il continue de nous embaumer de ses cordes, comme sur la touchante « It Doesn’t Matter to Him » ou la finale et somptueuse « Glacier » qui, dans son orchestration, pourrait parfois rappeler le meilleur de la BO de la saga Seigneur des Anneaux. Grandiloquent donc, mais surtout éloquent (« What they want is commonly referred to as idiocracy / And what that boils down to is referred as hypocrisy »). Sans oublier d’être drôle, comme sur « GMF » où il se décrit comme le « greatest motherfucker you’re ever gonna meet ». Tout un programme pour lequel le garçon prend le temps : aucune chanson descend sous la barre des quatre minutes.

Mais revenons au gros virage artistique de cet album. Tel un Dylan qui découvrait les possibilités offertes par EDF, Grant, lui, se convertit à l’électronique. Ouais. On se croirait parfois chez Scratch Massive (« Why Don’t You Love Me Anymore »), parfois même chez Kavinsky (la dispensable « You Don’t Have To »), voire chez un ersatz de George Michael (« Black Belt » et son beat qui donne l’impression de jouer à Frogger). « Vietnam » donne l’impression de vouloir foutre un monumental high-kick aux folkeux à la papa comme les barbants barbus de Fleet Foxes. Que dire, aussi, de « Sensitive New Age Guy », un coup à obliger James Murphy à revenir dans le game ? On croirait presque l’entendre s’essayer au rap sur « Ernest Borgnine » sur son refrain-mantra (« I wonder what Ernest Ernie Borgnine would do ») presque inaudible, avec un saxophone perdu au milieu des beats et des loops d’un simili Simian Mobile Disco. Cette obsession nouvelle pour la musique électronique laisse un goût un peu amer dans la bouche, la sensation que ce musicien et songwriter plus que doué s’est perdu en route. Ce virage peut-il mener l’ogre (cette pochette, sérieux) sur des territoires encore vierges ? À dire vrai, l’ouverture « Pale Green Ghosts », comme échappée du premier album de Hot Chip, est le meilleur morceau du disque. Alors oui, on peut l’espérer. Et si son premier album constitue assurément une valeur-refuge, celui-ci peut au moins prétendre au prix de l’innovation.

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