Jimi Hendrix est le meilleur guitariste de tous les temps. Ça, on le sait déjà, et d’ailleurs, pas un mois ne passe sans la parution d’un classement à l’intérêt plus que contestable, vantant les mérites de Keith, Jeff, Eric, et donc Jimi. Le natif de Seattle n’aura pas eu besoin de plus de quatre années (de 1966 à sa mort, en 1970) pour imposer sa griffe pour l’éternité. Et en 2013 donc, un nouvel album, que les patrons de Experience Hendrix LLC, la boite chargée de gérer l’héritage de la star (comprendre, entretenir la poule aux œufs d’or) présentent comme un moment de grâce, un « moment où le légendaire guitariste travaille en dehors de son groupe Jimi Hendrix Experience », offrant au fan transi « une variété de sons et de styles-cors, claviers, percussion et deuxième guitare-que Jimi voulait incorporer dans sa nouvelle musique ». On y entend surtout un mec tenter de pondre honnêtement une suite à Electric Ladyland, sans y parvenir, ou tout simplement les brouillons de futures chansons. Et surtout, à deux ou trois voies lactées de penser que quarante ans plus tard, elles verraient le jour tel quel. Et que ça se vende.
Ici, donc, on parle de jam sessions, d’expérimentations enregistrés sur des bouts de bande. On parle d’une flopée de musiciens en pleine délire studio. People, Hell & Angels n’est pas un album, mais bien un alignement de fonds de tiroir et de brouillons. Résultat : ce disque ne s’adresse qu’aux fans hardcore d’Hendrix, et encore. C’est pompeux, ça dégouline de partout. Qui a envie d’entendre ça ? Qui veut entendre des titres qui n’étaient jamais destinés à être entendus, surtout sans la moindre mise en perspective ? Depuis sa mort, Jimi Hendrix a sorti pas moins de trente albums divers, soit un peu moins d’une sortie par an. Il y a quelque chose de profondément triste là-dedans, même si Eddie Kramer, mythique ingénieur du son et collaborateur attitré du fantôme de Hendrix, a beau assurer qu’il s’agira du dernier album composé d’inédits, le mal est fait. Déjà, parce qu’il ne s’agit pas à proprement parler de nouveaux morceaux (c’était déjà le cas de Valleys of Neptune et ses brouillons à peine déguisés des plus grands hits du gratteux). Mais aussi parce que les charognes ont déjà bien entamé le cadavre.
Il n’y a rien de plus profondément sale que la sortie d’un album posthume, d’assister à ce festin macabre. On nous a fait le coup avec un album d’inédits d’Amy Winehouse, sorti quelques mois après sa mort, juste avant Noël. Michael Jackson y a eu le droit. Jusqu’à son dernier souffle, le musicien a la possibilité de tout bousculer, tout changer : on ne peut décemment se délecter d’un brouillon, encore moins lorsqu’il s’agit d’une série de jams. Alors oui, parfois, c’est facile de tomber dans le piège. Après tout, qui refuserait d’entendre ce que Kurt ou Jeff étaient en train de nous mijoter avant de passer l’arme à gauche ? On est alors les complices d’un dépouillement qui n’a rien à voir avec l’artistique. La mort est un business. Celui de Jimi semble toujours plus lucratif. On en reparle dans six mois, hein, pour la parution d’un album live composé uniquement de ces petits moments où Jimi changeait ses cordes. Il y aura toujours un con pour publier ça, et un autre pour l’acheter (et un troisième pour en parler…).