Chroniques

Fuzz Fuzz

Le mois dernier sortait Sleeper, véritable petite merveille acoustique qui en avait étonné plus d’un mais qui avait surtout eu l’effet de mettre tout le monde d’accord sur le talent de son auteur. Car Ty Segall a beau être un stakhanoviste garage-rock, il a surtout eu la bonne idée de ne jamais décevoir. Fuzz, trio formé avec deux de ses plus fidèles amis, est son huitième groupe et Fuzz, son vingt-deuxième album (sans compter les EP, sans que ce chiffre soit sûr). Le tout depuis 2008. Pas mal, non ? En l’espace d’un mois donc, Segall réalise le plus grand écart de sa carrière. On le savait capable de tout, alors lorsque celui-ci passe d’un album de glam-folk à un projet côtoyant les sommets du hard rock, rien de surprenant.

Fuzz se forme vers la fin de l’année dernière, tirant son nom de ce son distordu de guitare que Segall et ses comparses chérissent tant. Fuzz, c’est tout d’abord un petit coup médiatique habilement mené avec la complicité de Trouble In Mind Records. Un seul morceau publié sur le site du label (« This Time I Got A Reason ») suffit à alimenter les rumeurs, l’œuvre d’un soi-disant groupe inconnu au bataillon et dont l’identité des membres resterait un mystère. Très rapidement, à l’écoute des braillements nasillards immédiatement reconnaissables résonnant sur l’enregistrement, tout le petit microcosme du garage-rock s’excite : Ty Segall serait donc à la tête d’un nouveau groupe. Un premier concert donné à Los Angeles confirme finalement le bien-fondé de ces rumeurs. Au passage, on apprend que Segall renoue avec la batterie, instrument que notre gars martyrisait déjà chez les Traditional Fools, groupe au sein duquel il s’était fait remarquer par John Dwyer de Thee Oh Sees.

Courant 2013, trois autres singles ont vu le jour. Lourd et bruyant, le hard rock de Fuzz est surtout ultra-référencé. Vous ne lirez en effet aucun écrit les concernant sans que ne soit mentionné le nom des Black Sabbath, pour ses riffs imparables de l’acabit d’un «  ». On pense aussi à Jimi Hendrix à l’écoute des déferlantes de notes de Charlie Mootheart. D’ailleurs, parmi ces 45T, seul un titre figurera sur Fuzz : «  ».

Le souci avec cet album- enfin c’est sans doute inhérent à votre degré de connaissance et d’appréciation des antécédents de l’enfant chéri de Frisco- est qu’on ne sait pas trop dans quel sens l’appréhender. Il est forcément difficile d’éviter la comparaison avec la riche discographie de Segall. Ce serait pourtant une erreur puisque l’on a à faire à un album où Ty Segall a toute sa place, s’égosillant et détruisant la moindre parcelle de sa batterie, le tout accompagné de deux types qu’il connait par cœur. À ses côtés, donc, Roland Casio à la basse et ce fameux Charlie Mootheart, dont l’instrument crache des torrents de décibels d’une puissance telle qu’on n’en avait plus connu depuis l’album Slaughterhouse (auquel il a participé). Conséquence logique : Fuzz diffère en tout point de Lemons, Twins et même Slaughterhouse, jusque-là l’élément le plus heavy de son œuvre.

Toujours est-il que le résultat n’en est pas moins frustrant. Fuzz laisse de côté la production lo-fi qui représentait une part importante du charme de Segall. Le psychédélisme branlant, bancal mais génial qui le caractérisait jusqu’alors est remplacé par un psyché bien plus carré dans l’exécution et somme toute assez classique. Exit également l’immédiateté de tubes en puissance dont la durée oscillait entre 2 minutes et 2 minutes 50 : les morceaux se rallongent, ponctués de longs passages instrumentaux. Fuzz est en fait un disque étonnamment formel, dans le sens où chaque morceau semble structuré de sorte à respecter sagement les codes du genre. Hormis le triptyque introductif du feu de dieu (« Earthen Gate », « Sleigh Ride » et « What’s In My Head »), l’album peine par la suite à convaincre sur la longueur. On se prend à n’écouter la chose que d’une oreille distraite, avant de complétement décrocher en se disant que, bon sang, ces gaillards n’ont pas été aussi inspirés pour cet album que pour les singles dont ils nous avaient gratifiés quelques mois plus tôt.

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