Sam France et Jonathan Rado sont deux attardés made in California (il faut les voir sur scène pour s’en convaincre), qui un jour, autant pour tromper l’ennui que pour draguer quelques filles, peu attirées par leurs aptitudes à Tony Hawk Pro Skater 3, décident de brancher les guitares et de voir ce qu’il se passe. Au début, pas grand-chose, ce qui ne les empêche pas d’enregistrer, enregistrer et encore enregistrer. Après dix albums auto-produits et disponibles en exclusivité chez leurs mamans, Foxygen (ce nom !) est arrivé, comme on dit, à maturité. Avec comme preuve à ajouter au dossier, Take The Kids Off Broadway, EP paru l’été dernier et remarqué par Richard Swift (The Shins). La dernière pièce du puzzle, celle qui nous intéresse aujourd’hui, We Are The 21st Century Ambassadors of Peace and Magic, est sortie fin janvier. Le nom est emphatique, coloré, pince-sans-rire, et s’envisage comme un résumé des hostilités tout à fait honnête.
Oui, tout cela sonne terriblement daté. Et non, les comparaisons avec MGMT ne sont pas un raccourci facile, même si France et Rado ne s’embarrassent pas d’un semblant de modernité. Nous avons affaire ici à un duo passé par New-York (pas l’idée du siècle, selon eux) citant à longueur d’interview Fleetwood Mac, Captain Beefheart et Spacemen 3. Rétrogrades, les Foxygen ? Peut-être, mais c’est pleinement assumé. Et au coeur d’une année 2013 qui aura vu sortir de nouveaux MGMT (encore eux), Tame Impala, une reformation de Fleetwood Mac (encore eux bis) et on en passe, on ne va pas se mentir, la modernité appartient au passé. Certes, pour Sam et Jonathan, la musique, c’était quand même mieux avant. Mais au-delà d’un son, d’une production (des basses rondes, de la réverb’ un peu partout) évoquant le T Rex de « Cosmic Dancer » et à peu près n’importe quelle chanson pop sortie entre 64 et 77, cet écrin rétro renferme tout de même, non pas des clichés fanés d’une époque révolue, mais de vraies chansons. Ce qui est déjà beaucoup.
Car loin d’être une simple carte postale, We Are The Blablabla regorge de pépites pop. De celles que l’on n’aura cessé de chercher tout au long d’une année 2013 dominée par les gros blockbusters mais avare en mélodies fédératrices (ou en tout cas, en sous nombre par rapport aux prévisions). Des mélodies qui servent ici de fil rouge, les morceaux se terminant ici très rarement comme ils ont commencé. Car voilà bien une chose que ce disque dit sur son époque : tu as le droit de ne pas choisir. Tu n’as pas à suivre la moindre règle. Tu as certes le droit de préférer le vintage, il n’empêche, ton iPod tourne en mode aléatoire. Il y a de quoi chanter en chœur avec ton voisin de fosse (« Oh Yeah »), une chanson de rupture aux allures de comptines (« San Francisco »), un peu de Prince sur « Shuggie », et un délire plein de drames, de breaks mélodiques et de bonnes idées (« On Blue Mountain »). Un joyeux bordel pseudo-néo-hippie, très drôle, une écriture pop à la Ray Davies dans ce maniement magistral des temps forts et faibles qui composent une chanson. Mais à l’image d’un Late Of The Pier, Foxygen sont les rejetons de la génération shuffle. Celle qui s’en branle du flacon, pourvu qu’elle ait l’ivresse ; celle qui pense que Brian Wilson est Dieu, et Kurt Cobain son disciple. Celle qui n’a jamais aussi bien fait sonner 1966 qu’en 2013. Celle qui fera régner la paix et la magie sur la pop music. Celle qui sait que les drogues de cette décennie sont aussi les drogues des précédentes.