Chroniques

Deerhunter Monomania

Deerhunter, c’est un peu le remake d’Incassable, avec Bradford Cox en personnage principal : comme dans le film de M. Night Shyamalan, l’homme au sixième sens, le leader de la troupe ricaine est atteint d’une maladie rare (le syndrome de Marfan), possède une silhouette aussi fragile que de la porcelaine estampillée Guy Degrenne et se passionne pour des choses qui lui sont en tout point opposées. Pour Elijah Price, ce sont les super-héros, pour Bradford, le rock. Car, oui, douze ans après les débuts de Deerhunter, on se pose encore la question : comment un être d’apparence aussi frêle peut-il faire preuve d’une telle brutalité dans l’exécution ? Comment, dans un univers rock aussi uniforme, est-il parvenu à se faire une place ?

Il est vrai que Deerhunter ne devrait rien avoir à faire avec la tradition du rock, encore moins à l’usage que l’on en fait aujourd’hui. Pas assez poisseux, ni cryptiques, ni belliqueux, trop de groupes s’engouffrent dans une esthétique de la surenchère quand la fine équipe d’Atlanta privilégie au contraire les ruptures de rythmes, les guitares accidentées et les refrains capiteux. Hors des modes, les quatre gus (bien que le line-up ait beaucoup changé depuis les débuts) l’ont toujours été : d’abord abscons et insaisissables sur leurs deux premiers albums (Turn It Up Faggot en 2005 et Cryptograms en 2007), puis plus lumineux et minutieux sur les deux chefs-d’œuvre de la fin des années 2010 (Microcastle et Halcyon Digest).

Plutôt bien mené à défaut de révolutionner ses fondamentaux (le quatuor fait d’ailleurs de nouveau appel à Nicolas Vernhes, déjà aux manettes de Cryptograms et Microcastle) Monomania est l’oeuvre d’un groupe qui maitrise parfaitement le dosage des différentes émotions, passant avec une épatante facilité des riffs rugueux (« Leather Jacket II ») aux pop-songs sous acide (« T.H.M. » et « Blue Agent ») et du brûlot rock (l’éponyme «Monomania ») aux intentions bluesy (« Pensacola »). Le coup de génie de ce cinquième album est là : dans cette capacité à explorer toutes les facettes d’un même morceau, dans cette aisance à mêler l’évidence pop à la frénésie du punk. Et c’est bien là le cœur de la musique de Deerhunter. Derrière une façade bruitiste, se trouve en réalité un savoir-faire troublant de grâce et de spleen, de douceur et de perversion – ce que Bradford Cox, lorsqu’il touche sa bille en solo sous le nom d’Atlas Sound, explore encore davantage.

Inutile donc de dire que les raisons d’aimer ce disque abondent. D’abord, parce qu’il se veut plus accessible que ses prédécesseurs (non, ce n’est pas toujours une insulte). Deerhunter parvient ici à livrer son disque le plus écrit, le plus produit également. Bradford Cox et ses sbires parviennent aussi à ralentir le tempo et à conclure leur récital sur une (incontournable) note comateuse (l’addictif « Punk (La Vie Antérieure) »). Incassables, on vous dit !

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