Chroniques

Christopher Owens Lysandre

Jetons un coup d’œil sur la pochette de Lysandre où Christopher Owens joue les égéries tristes, avec son regard de chien battu qui darde derrière les mèches pendantes de sa chevelure dorée de clochard céleste, comme , le « biopic » de Gus Van Sant sur les derniers jours de Kurt Cobain. Comme le double à l’écran du chanteur de Nirvana, incarné par , Christopher Owens a le corps suffisamment blessé pour souhaiter disparaître. Et c’est un moindre mal quand on pense que le Christopher Owens, du moins la version que nous connaissons, aurait pu ne jamais exister : s’étant mis à la musique sur le tard, rien ne le prédestinait à nous faire chialer, d’abord avec la surf-pop fleur bleue qu’il a égrené avec Girls, aujourd’hui en solo avec Lysandre, album plus-rétro-mais-classe-tu-meurs. Mais au fond, il peut remercier sa timbrée de matrone de l’avoir embrigadé dans les Children of God, une secte religieuse hardcore pour hippies égarés. Car sans la houle puis l’errance auxquelles elle l’a acculé, il n’aurait peut-être jamais acquis cette sensibilité universelle et ce songwriting pudique qui font que chaque album signé de son sang trouve une place de choix dans le panthéon pop.

Un petit détour biographique s’impose : à 16 piges, sûrement lassé de voir sa mère s’adonner au flirty-fishing et de ne pouvoir écouter -en cachette- autre chose que Michael Jackson, Christopher se fait la malle. Il rejoint sa soeur à Amarillo (Texas), s’acoquine pendant un temps avec les punks du coin puis se barre à San Francisco. Là-bas, entre deux beuveries durant lesquelles Kerouac, vivant, aurait roulé sous la table, il se fait les griffes et les riffs avec , aux côtés de Matth Fishbeck et de l’églantino-gogol Ariel Pink. Les maîtres à jouer veillent au grain et la drogue dure enflamme les méninges de Christopher, rapidement rejoint par Chet Jr White et sa basse. De la combustion jaillit Girls, un EP, deux albums : avec Album (2009) en guise de bombe lacrymogène et Father, Son, Holy Ghost (2011) comme matraque pénible, Christopher est devenu un CRS (Compagnie Républicaine des Sentiments) exemplaire, fracassant les cœurs échoués sur les plages californiennes. Mais comme nous l’a appris Girls, en général, les histoires d’amour finissent mal et en trois tweets lâchés en juillet, Christopher annonce la fin du groupe. Groupe dont il composait tous les morceaux, ce qui pouvait déjà nous rassurer sur sa capacité à œuvrer en solitaire. Et à innover, sans cesse.

Christopher Owens fait ce qu’il veut avec ses cheveux ; et avec la pop également. Sans complexe, à contre-courant de la hype, Lysandre dégouline de flûtes traversières et de cuivres mais, par je ne sais quelle magie, chaque chanson reste en dehors du temps. Peut-être parce qu’aimer vraiment et avoir des peines de cœur, c’était la même chose au moyen âge que dans le New York des années 1950 (« New York City » et son rythme enlevé de saxophone ne manque pas de groove) ? La cohérence de cet album très bref (30min douche comprise), basée sur la répétition, est imperturbable : le thème de l’intro revient comme un leitmotiv amoureux et nostalgique au fil des onze morceaux épurés, majoritairement acoustiques. Lysandre, c’est le nom d’une nana rencontrée au Midi Festival 2008, à Hyères. Une française avec qui il a eu une romance de tournée. Un amour éphémère, dont il s’est remis, car on ne meurt plus d’amour en 2013. Un amour de vagabond, qui a traîné ses guêtres sur la Côte d’Azur (qu’il invoque sur « Riviera Rock » et son reggae en coton) puis épanché ses peines, réparé son cœur brisé (« A Broken Heart ») une fois rentré à San Francisco. Des milliers de chansons d’amour et de rupture ont été écrites, c’est l’un des moteurs de la pop. Par contre, plus rares sont les chansons d’amour et de rupture parfaites, absolues. Des chansons qui pourraient faire bisquer Simon & Garfunkel ou Cat Stevens, Christopher Owens vient d’en délivrer onze de plus.

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