Trois ans. Voilà ce qui sépare notre premier contact avec Blind Digital Citizen de la sortie de ce premier album. C’est long, trois ans. Surtout qu’à l’époque le quintet parisien nous avait violemment enfoncé son poing dans la gueule avec quatre premiers morceaux qui nous mirent à genoux sans aucune forme de procès. Aujourd’hui encore, cet EP nous accompagne régulièrement, avec toujours cette sensation qu’après ça, il est difficile de s’enflammer pour une nouvelle découverte, une nouvelle proposition musicale. Mais on s’enflamme, quand même. Parce que trois ans, c’est long.
Surtout qu’entretemps, le groupe nous a quand même donné quelques nouvelles via deux titres, « Enfant-Flamme » et « Shida ». Sauf que cette fois-là, notre excitation était retombée comme devant un porno allemand, et on repassait vite aux valeurs sûres qui les avaient précédé. Alors, quand s’est enfin annoncé cet album, on se retrouvait un peu le cul entre deux chaises. Excités, forcément. Mais aussi peu serein qu’avec une gueule de bois au repas dominical. Ce qui nous avait attiré aux débuts de François, Florent, Charles, Louis et Jean, c’était autant cette musique, électronique, parfois martiale (« War »), parfois planante (« Valhalla »), finalement assez proche du travail d’un groupe comme Zombie Zombie, que ces textes, rares et précieux, chantant, scandant, ce désir connement juvénile de vivre, d’être libre, et, quelque part, de tout envoyer en l’air. Sans retour en arrière, comme dirait Kyo, mais on s’égare. Ce qui nous réjouit à la simple lecture du tracklisting de ce Premières Vies, c’est de retrouver deux titres chéris de l’époque (« War » et « Reykjavik 402 ») mais aucune trace des deux qui les avaient suivis. S’ensuit une intuition qui s’avèrera juste : BDC (pour les intimes et les feignasses) était revenu aux fondamentaux.
Si les morceaux étaient de purs instrumentaux, BDC se positionnerait en héritier direct et en concurrent sérieux du duo formé par Etienne Jaumet et Cosmic Neman (non, pas Daft Punk, essayez de suivre). Le groupe évolue dans des ambiances tantôt inquiétantes et lugubres (« Parachute », « Palais de cristal ») tantôt presque club (« Ravi »). Enfin, inquiétantes et lugubres, surtout. Car après tout, lorsqu’on descend de Zombie Zombie, on descend aussi de John Carpenter. Un homme peu connu pour faire tourner les serviettes. Et puis, il s’agirait de ne pas nuire au propos. Parce que oui, les Blind Digital Citizen ont des choses à dire. Les textes scandés, tonnés par la voix puissante de François, ne sont pas là pour faire office de simple remplissage mais bien pour te dire, à toi là-bas le jeune vingtenaire désabusé qui fument des bédos dans ta chambre en méditant sur l’état des choses et du monde, que tu n’es pas seul. Ça vous rappelle quelque chose, non, vieux frères ?
La différence avec Fauve, c’est qu’il se dégage ici une réelle poésie, y compris dans la vulgarité. Quelque chose tenant du format de ces textes, justement non-formatés, des images, d’une certaine noirceur non surjouée, mais aussi d’une volonté non pas de se poser en victime mais plutôt en force d’avenir, en acteur de sa propre vie. De l’ensemble se dégage parfois certaines maladresses (le texte de « Parachute » nous laisse ainsi totalement dubitatif) mais surtout une réelle sincérité. Alors si l’ensemble se révèle parfois effectivement maladroit, il nous prend sans arrêt à la gorge, nous sommant tout simplement de nous sortir les doigts du fondement. Et de nous achever sur les ultimes paroles de ces Premières Vies, qui plutôt d’enculer le blizzard proclament cette simple évidence : « L’avenir est ici ».