« Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème ». Imaginons deux secondes que par le biais de cette maxime, notre homeboy Brice Hortefeux visait, non pas « ses amis maghrébins », mais les fac-similés de Joy Division et le mauvais réflexe que nous avons de comparer chaque nouveau bébé post-punk aux défunts mancuniens. Eh bien notre regretté auvergnat aurait eu raison*. Black Marble n’échappe pas à la comparaison pour des motifs assez évidents. D’abord, la parenté coldwave avec la trinité « synthétiseurs givrés, basse à la Peter Hook et sinistrose chronique ». Et quand le nom pétrifiant « Black Marble » résonne, on imagine une urne funéraire dont le noir d’Ashford, par extension, rappelle de près la pochette de Closer et sa crypte en noir et blanc. Si le marbre est froid comme la mort, et si Weight Against The Door, le premier EP carbonifère du duo New Yorkais (sorti en début d’année) glaçait les os, A Different Arrangement fait contre toute attente l’effet d’un sauna par -15°C.
Dès l’introduction, « Cruel Summer », le chant vocodé de Christ Stewart semble lointain, quasi-inaudible, histoire de nous signifier qu’au fond, ses mots n’ont guère d’importance. « Close The Window, Close The Window », ordonne-t-il dans le refrain, emmené par une boîte à rythme qui claque comme des dents sibériennes, fouette la peau et laisse des engelures. Sur « Limitations », Chris, serein comme une plaque de marbre, presque ironique, nous prévient : « You’re Wasting Your Time / You’re Wasting You’re Life ». « Last », piste quasi-instrumentale à la basse nerveuse, c’est The xx s’ils arrêtaient le Prozac et les suppos. Sans oublier « A Great Design » et sa soul glaciale, sa progression épique au synthé. Pas loin d’être le truc le plus poignant entendu cette année.
Ce disque, si vous le prenez au premier degré, peut se révéler plombant. Mais plutôt que de se montrer obscur et hermétique, il présente des contours electro pop taillés pour les pistes de danse. Des pistes de danse poisseuses, souillées par les verres de gnôle renversés et la sueur de zombies débauchés. Ces morts-vivants seraient sans voix, ou s’ils étaient doués de parole, ils auraient le même timbre étouffé de réverbération que Chris Stewart. Tout le long de ces onze morceaux transpire quelque chose de très pur, d’absolu. Écoutez « UK » ou « Static » : sur un fond blanc, les mots noirs, la basse et les avalanches de synthés se frôlent, se superposent et s’entrecroisent. Chris Stewart et Ty Kube créent l’illusion du vide, du rien, du chaud, du froid.
* Plutôt que de s’en prendre à nos pintes et nos mojitos, la Direction Générale des Finances Publiques aurait tout intérêt à mettre en place une taxe « Joy Division ». Le principe : à chaque fois qu’un groupe armé de synthés serait assimilé par un scribouillard pressé à la bande de feu Ian, ledit scribouillard se verrait obligé de reverser 1 euro à l’État. On imagine déjà le résultat. La dette publique et l’ardoise grecque ? Un vague souvenir. La licence globale ? Rendue obsolète. François, si tu nous lis…