« J’avais vraiment plus d’inspiration et j’étais au bord de la panique. J’étais honnêtement prête à tout plaquer parce que j’attendais un chiard et que j’en avais grave marre ». Voilà en somme ce que Natasha Khan racontait à l’hebdomadaire anglais The Observer. Malgré sa maïeutique particulièrement complexe, The Haunted Man, troisième album de Bat for Lashes, est sur le point d’être expulsé par sa créatrice.
Pas besoin d’avoir lu Lacan et d’être pote avec Freud pour comprendre que les démons chassés par Natasha sur ce disque ne sont pas le Lamia, l’homme-bouc maléfique inventé par Sam Raimi, ou un streum quelconque mais plutôt l’âge, le temps et l’amertume des soirées passées à Brighton avec son immuable bandeau de colchiques dans les cheveux.
En 2006, cette chère Khan, née d’un papa pakistanais et d’une mère anglaise, construisait Fur & Gold, sur l’autel de Siouxsie et de Björk, composant des chansons pop gothiques à plumes et dansant autour de vieux totems. Son second album, Two Suns, sa propre vision du système solaire, venait confirmer le talent rare de la pépé aux ponchos vintages à motif navajos obligeant Rolling Stone à la traiter de « nouvelle Kate Bush ».
Depuis Natasha s’en est remis, quittant le cimetière indien qui lui servait de maison. The Haunted Man ne renie pas ses racines, elle continue de balancer des titres/prénoms « Marylin », « Daphne » et « Laura » ont la lourde tâche de succéder au tube « Daniel » ou de commencer un ménage à quatre au choix. « All Your Gold » reprend les recettes de famille partagées avec les copines Florence Welch, Emiliana Torrini ou Joanna Newsom.
Le premier single, “Laura” raconte la mélancolie d’une proche perdue au milieu des fêtes dignes d’un Gatsby Le Magnifique et d’un enchaînement de flirts. « C’est une amie mais j’ai changé son nom ». Dans cette ballade très seventies, on apprend que Laura a son nom tatoué sur la peau de tous les garçons, ce qui la rend au final bien triste. Un peu comme Natasha elle-même, qui raconte s’être écartée un temps de la musique histoire de trouver une activité susceptible de lui prendre moins la tête. Du volontariat dans un hôpital à un boulot de prof en école primaire, c’est finalement dans le jardinage qu’elle trouve son bonheur.
Le temps de faire pousser un carré de Dahlia, coincée dans son appart’, Natasha prend une décision forte : son album parlera de l’Angleterre. Un clin d’oeil au Sussex qui ressemble à une forêt humide peuplée d’un orchestre de créatures imaginées par Guillermo Del Toro dont les chœurs rythment « Marilyn » ou « Oh Yeah ». « Horses of the Sun » et son troupeau de centaures folks offre une première touche éco-friendly avant que « Deep Sea Diver » ne viennent décompresser le CD en fin de parcours. Beaucoup de cielologie pour Natasha qui interroge les exoplanètes sur les nappes de guitares et de claviers atmosphériques à la Moroder. « Laura » est plus qu’une étoile alors que toucher « Marilyn » revient à mettre ses doigts dans une boule de plasma.
« Je regardais de vieilles photos de Patti Smith et de PJ Harvey, assez crues, et elles s’en foutaient comme de l’an 40. Frida Kahlo, avec ses gros sourcils et sa moustache… je pense qu’aujourd’hui, ça manque de vrais corps, de vrais gens », précise-t-elle lorsqu’on l’interroge au sujet de la pochette. Pas la peine de te justifier Nat’, poser nue sans se raser les poils des jambes, c’est bien plus rock.