Le moins que l’on puisse dire, c’est que la formation (deux pianos, une batterie) d’Aufgang aurait facilement de quoi rebuter les plus poppeux d’entre nous de prime abord. Et pourtant, il suffit de les avoir vu en live ou d’avoir écouté leur premier album (l’éponyme Aufgang, sorti en 2009) pour comprendre que ces trois électrons libres ont plus à voir avec la techno vrillée de Jeff Mills ou le génie mélodique d’Erik Satie qu’avec n’importe quel musicien élitiste se goinfrant de sa propre virtuosité.
Sur ce Istiklaliya, on retrouve d’ailleurs tout ce qui caractérise leur style si paradoxal : ce mélange brutal de rythmiques nerveuses et de beats organiques, voire synthétiques. Bien sûr, à l’intérieur, rien n’est simple d’accès. Mais tout mérite d’être écouté (voire même un peu mieux). Et ce pour une simple raison : non contents de désacraliser la musique classique, Francesco Tristano, Rami Khalifé et Aymeric Westrich poussent ici encore plus loin leur goût de la déconstruction sonore. Pas un mince exploit quand on a suivi tous les enseignements théoriques du conservatoire.
Si « Kyrie », qui ouvre l’album avec brio, est parfaitement représentatif des intentions du trio, il n’est que la face émergée d’un drôle d’objet sous l’influence du 7ème art (« African Geisha ») qui exploite avec doigté la tension entre le piano et les percussions pour en libérer la charge explosive. La pièce maîtresse de l’album, « Ellenroutir » se démarque instantanément du lot en mettant l’accent sur un point clé de la musique d’Aufgang : le mix entre groove insidieux, pianos ancestraux et synthés antédiluviens.
Mais bon, pour éviter toute forme de congratulations ou, pire, de survente, venons-en à ce qui cloche dans Istiklaliya. Car oui, il y a quelques réserves à émettre sur ce dernier : en grande partie instrumental, déshumanisé par une démarche presque conceptuelle, le contenu est parfois trop illustratif. Tout ça manque un peu de poigne. « Diego Maradona », par exemple, semble bien loin en somme des coups de reins de génie du footeux qui prête son nom au morceau. C’est en partie décevant, car Aufgang peut prétendre à beaucoup plus.
Résumons. Ceux qui ont pour quête l’émotion pure ou les nuances d’une œuvre dénudée, foisonnante de mélodies évidentes, iront voir ailleurs que dans cet univers calculé au millimètre près, nourri de modernisme et de métissage, sans folie (du moins, pas autant qu’en live), ni spontanéité, mais bourré de vitalité. Les autres, ceux qui vouent un culte aux acrobaties mélodiques et aux arrangements rigoureux, qui vénèrent les mélanges entre le spleen de l’acoustique et la fureur dévastatrice de l’électronique, seront en territoire ami. Mais que l’on aime ou pas cet album, très froid, qui ne cherche pas à plaire, une chose est certaine : le geste est radical.