Chroniques

Top Albums 2013 #18 Arctic Monkeys

Comme un bon vieux spam des familles, les Arctic Monkeys devraient sillonner l’Europe des festivals cet été. Vieilles Charrues, Rock Werchter, Alex Turner et son gang partiront défendre AM (qui vient juste d’être élu album de l’année par le NME). Reconnu par les institutions rock, adulé par une génération de fans qui ont grandi avec « Fake Tales of San Francisco », les Monkeys avancent en terrain conquis, remplissant les Zénith, palais et casinos sur leur chemin. La tempête stoner qui a arraché quelques soutiens gorge lors de sa sortie en septembre dernier progresse à la vitesse de la lumière.

« Il y a ce son qui me fait penser à toi et que je joue continuellement jusqu’à m’endormir » : les préoccupations d’Alex Turner n’ont peut être pas changé depuis ses années perdues dans la banlieue de Sheffield. Sur « Do I Wanna Know? », qui ouvre AM, cinquième album du groupe, on trouve enfin cet équilibre entre les racines britrock de la formation et les accents récemment empruntés aux Queens of the Stone Age ou à Black Sabbath, toutes ces influences que les Arctic Monkeys ont cultivées de l’autre côté de l’Atlantique.

Comme Stavros, le héros du film America America d’Elia Kazan, on ne compte plus les individus qui ont fait le voyage aux États-Unis pour tenter de donner une autre dimension à leur vie. La « success story » n’était pas écrite à l’avance pour Turner et ses potes. En ajoutant de la viande à un physique nerveux, les britanniques avaient transformé Humbug et Suck It and See en disques stéroïdés, James Ford et Josh Homme ne parvenant jamais à marier les qualités du groupe au son heavy qui les avait séduit.

Musculeux et mélodique, AM prouve que la métamorphose physique de Turner – passé du biactol à la résine Dapper Dan pour faire tenir sa banane rockabilly – est accompagnée d’une résolution franche: ne surtout imiter personne. La construction de cet album en fait un des plus homogènes de la carrière des Arctic Monkeys. Turner avait les idées claires quand il expliquait vouloir emprunter des sonorités aux gros producteurs américains, un savoir faire, une patte qui transforme le pétrole brut en baril pop.

Aujourd’hui, les Arctic Monkeys citent Dr. Dre et jongle sur des beats que les Neptunes auraient pu mettre au monde. Les épices stoner coïncident parfaitement avec l’aisance vocale de Turner sur « One for the Road » quand « R U Mine? » met notamment en valeur les talents de batteur de Matt Helders et « Why’d you only Call Me When You’re High » offre un instant qui rappelle The Streets. Enregistré dans les studios de Joshua Tree, dans le désert californien, AM compte même quelques moments funk et groovy. Une sensualité renforcée grâce à la présence d’un autre invité, Elvis Costello et la vibe Velvetienne qu’on peut trouver sur « Mad Sounds ».

Histoire de faire respirer un peu le tout, la ballade « I Wanna Be Yours » se permet quelques citations du poète punk John Cooper Clarke alors que « N°1 Party Anthem » est un bonbon pop qu vient en écho à tout l’album Whatever People Say I Am That’s What I’m Not. Même si le disque ne ressemble plus à un EP enregistré dans une chambre par trois lads, la formule utilisée conserve une fraîcheur toute chav alimentée par un Turner goguenard.

S’il faut mesurer l’importance d’un groupe à ses tournées et à son horaire de passage dans la programmation d’un festival d’été, les britanniques, qui ont enchaîné les têtes d’affiche à Glastonbury et se sont produits lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres, ont pris une nouvelle dimension. Contrairement à bon nombre de leurs contemporains, les Arctic Monkeys ont survecu à la concurrence en gardant une activité régulière et en tentant de nouvelles approches sans tomber dans l’expérimentation à outrance.

Le groupe est l’un des seuls à proposer une évolution artistique cohérente. Comme certains ont pris du plaisir à suivre les déambulations musicales de Jack White, la carrière solo d’Alex Turner – sa belle bande originale pour le film Submarine ou ses sorties avec les Last Shadow Puppets en compagnie de son ami Miles Kane – en fait probablement un des frontmen les plus malins de sa génération.

Qu’est-ce qui manque à l’album pour être en pôle position? Probablement les mêmes ingrédients qui se sont toujours refusé aux Monkeys: un supplément d’âme qu’Alex Turner tente de singer en arborant les habits de crooner rockabilly et une capacité de surprendre le spectateur avec un degré supplémentaire de mélodies fantasques. Le départ aux États-Unis et la prise de risque auront néanmoins payé.

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