Le moins que l’on puisse dire, c’est que le regard que porte Actress sur l’humanité ne s’améliore pas avec l’âge. Il est sans pitié, sombre, destructeur. Dans ce Ghettoville hypermaîtrisé, tout ce qu’on connaît de l’Anglais est en effet synthétisé à la perfection, avec cet art consommé du contre-pied, des boucles abrasives, de la techno sous acide. Reviennent alors subitement en mémoire les fondamentaux d’Hazyville, premier album qui, à sa sortie en 2004, avait défini à jamais l’univers d’Actress : la question de l’androgynie (fortement présente sur des titres comme « Cross Dresser » ou « Mincin »), la culture du soundsystem, les ambiances cinématographies (en plus d’être passionné par le noir et blanc, Actress a longtemps travaillé dans un cinéma) et les mélodies complexes, presque bruitistes.
Ce côté abscons, grave et sans concessions est d’ailleurs, sans le moindre doute, ce qui écarte Actress du grand public depuis ses débuts et, en contrepoint, ce qui a conforté son immense côte underground. Pourtant, si l’on peut aisément considérer sa techno comme intello ou élaborée, il convient de ne pas oublier qu’elle peut être également directe et viscérale, convoquant dans un même élan les plus beaux spécimens du genre à ses côtés (Terrence Dixon, Juan Atkins, Aphex Twin, voire Boards Of Canada). Fascinant de classe et d’originalité, Ghettoville, un quatrième album à considérer comme un sequel du premier, est donc un disque brumeux et cryptique, un de ceux qui laissent trainer la techno dans des endroits crades, glauques, où se mélangent aussi bien le dub que le hip-hop, l’indus que l’UK Garage.
Alors que le mélomane d’aujourd’hui réclame en permanence des héros et des icônes, lui, ancien footballeur (il a même sa photo dans le livre de West Brom), demeure la preuve ô combien vivante que l’underground musical peut parfois décrire des choses bien plus universelles que ne le ferait un vulgaire pisse-copie passant en boucle sur les bandes-FM. En refusant les diktats de la musique électronique actuelle, Ghettoville, dont une majorité des titres a été réalisé en l’honneur des sans abris, balise donc un territoire sonore presque inédit et témoigne, grâce à des morceaux comme « Towers », « Rap » ou l’ultime « Rule », de la carrière constamment en progrès du bonhomme. Qui, si l’on en croît le communiqué de presse et différentes interviews réalisées récemment, devrait prochainement changer d’identité et laisser sa carrière d’Actress de côté.