Il y a donc une vie après les bébés rockeurs, mais pas pour tout le monde, pas toujours pour les plus talentueux, et désormais loin des pages de Rock’n’Folk. Et peu importe. S’il faut souffrir pour composer de grandes chansons (cliché sans doute vrai, absurdité probablement vérifiée, cela dépend), se révéler au monde ne passe pas forcément par un label, un magazine, ou un buzz orchestré. Non, cette découverte peut être toute personnelle, intimiste. On écoute ce premier EP en solo du chanteur des Shades, et on a le sentiment de faire connaissance.
Pourtant, sa plume, sa voix, ses mélodies, nous sont familières. Le premier album des Shades était le seul bon de la clique du Gibus, et de loin. Le second, injustement oublié et peu considéré à sa sortie, renferme pourtant leur meilleure chanson (“”), et tout simplement l’une des plus belles réussites pop de l’hexagone. Le troisième faisait revivre la rage des débuts. Trois albums donc. Un sans faute. Les Shades existent-ils encore ? Ils tournent avec Fuzati. Ben, lui, sur son temps libre, peaufine son Art. Et le résultat, aujourd’hui, s’appelle Loin Des Mers. Quatre titres, emmenés par le flamboyant single “Nous étions des Réveurs”.
“J’ai utilisé une MPC500, un Juno 60, un Moog Realistic, un Nord Wave et un Microkorg, une Fender Precision mexicaine, une Telecaster japonaise, un bitcrusher Biscuit”, écrit-il sur sa page Facebook. Ou quand l’absence de moyens de vient une force. Quand composer seul donne des ailes. Quand on se moque de tout le reste. Plus lo-fi que ses précédents efforts, marqué par ce synthétiseur simpliste (en apparence tout du moins), Loin Des Mers, dans la forme, marque un changement. Son groupe ne jurait que par Queens Of The Stone Age, ici, il se voit en Dan Deacon franchouillard. S’il est un vagabond, comme il le chante en plage 3, il est aussi un explorateur naïf.
“J’avais publié une démo approximative de “Nous étions des rêveurs” en 2012 sous un nom hyper humble (“Hymne”). J’ai retravaillé la structure et ajouté des paroles en avril 2014. Mon inspiration pour ce texte vient directement du Psaume 126″. Point de prétention ici, les textes de Ben Kerber ne sont pas de ceux (et c’est un compliment) qu’on décortique, qu’on analyse pour en puiser le sens en y perdant le charme. Benjamin ne chante rien d’autre que le quotidien amoureux et songeur, le sien, le tien, le mien. Ben Kerber est un mec normal, avec ses interrogations et ses envie d’ailleurs. Mais Ben Kerber est aussi un musicien capable de composer la bande originale de sa vie, et un peu de la nôtre. Avec sensibilité et refrains en poche. Nous étions, tous, des rêveurs. Heureusement, il nous est permis de le rester, ou de le redevenir. Cet EP est là pour cela.
En concert le 19 juin au 114 (Oberkampf).