Une note, des dizaines de variations : et le Lux fut. Il paraît que quand Brian Eno réécoute ses productions dans un taxi, il se dit que « franchement ça le fait » (même quand c’est du Bono, sérieux ?). Depuis qu’il a inventé l’ambient à lui tout seul en 1975 avec Discreet Music, l’influence du divin chauve s’est propagée à mesure que la musique devenait innovante.
« Je me suis intéressé à l’idée de la musique se jouant toute seule, en un sens, au milieu des années 1960, quand j’ai entendu pour la première fois des compositeurs comme Terry Riley et que j’ai commencé à utiliser des enregistreurs », raconte Eno au Guardian. L’intérêt réside selon lui dans la perte de contrôle de la création (quitte à ce qu’elle fasse n’importe quoi).
Son 17e album commence avec le même syndrome que les précédents, des motifs de pianos qui se répandent à la manière de l’encre et de l’eau. Après une pause de 7 ans, la paix des braves, quel intérêt de revenir se faire chier avec quatre pistes de 18 à 19 minutes intitulées « Lux 1 », « Lux 2 », « Lux 3 » et « Lux 4 » ? Surtout qu’au fond, rien ne les distingue vraiment. Soixante-quinze minutes de clavier et de cordes divisées par 4, si bien que quand l’album passe en fond, vous oubliez que vous êtes en train d’écouter de la musique. « J’ai senti qu’il était pertinent de la part d’un compositeur de chercher à construire un système où la composition était gérée non par la personne ayant imaginé le processus mais par le processus lui-même. »
Lux est un descendant de Music for Airports : dans la gestuelle, sa musique rappelle la scène du jardin japonais dans Kill Bill quand un duel entre Uma Thurman et Lucy Liu, quelques minutes avant d’être scalpée, est marqué par le clapotis d’un rondin creux qui frappe le sol à chaque fois que le poids de l’eau le pousse vers la terre. Il y a ce calme parfois pesant une forme de légèreté, une certaine clarté dans le « propos ». L’ennui c’est que si cette musique est « ambiante » (comprendre : pas de couplets, pas de paroles, pas de refrains ni de section rythmique), elle n’évoque rien à part un gros aquarium où les poissons seraient rachitiques. C’est à l’auditeur d’aller vers la musique, et non l’inverse, et c’est d’ailleurs toute la démarche de Brian Eno ici.
On pourrait ainsi voir dans Lux l’antidote à toutes les compositions actuelles et cette recherche de la maximisation des profits, ce qui ne veut pas (du tout) dire que cet album est parfait. En bon fabricant d’applications Apple, Brian permet à l’utilisateur de créer son propre paysage musical. Il vient d’ailleurs de sortir Scape, une application de musique générative disponible sur tablettes numériques. Sans oublier son triptyque de juke-boxes futuristes, sortes de logiciels de musique interactive intitulés Bloom, Trope et donc Scape (où l’utilisateur peut, grosso merdo, composer sa propre symphonie en déplaçant ses doigts sur l’écran). Il obtient une réponse sonore et visuelle pour une atmosphère se développant de manière autonome. Enfin bref, tout ça pour dire que si l’éminent Brian Eno n’était pas derrière ce Lux, on ne publierait pas cette chronique : ceci est une injustice. Mais tant qu’à supporter un « album » de musique pour les poissons tous les sept ans, autant qu’il en soit l’auteur.