13/11/2014 /
Loïc Douhaud
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NTM – Le pouvoir
J’écoutais ça quand j’étais vraiment minot, je devais avoir même pas douze balais. Ce morceau-là ? Je l’écoutais en boucle, mais de chez en boucle… je le connais encore par cœur ! Je ne sais pas pourquoi il est resté dans mon crâne, je ne l’ai pas écouté pendant des années, mais quand je me le suis remis sur YouTube, les lyrics me sont revenues direct. C’est un peu une madeleine de Proust quoi. En fait avant d’écouter du rock’n’roll je n’écoutais vraiment que du peu-ra. J’ai grandi dans une cité, dans le 93, et pour moi le rock c’était un peu un truc de papas quoi. Mon père il écoutait du punk, à l’époque ça me parlait pas trop, j’étais vraiment persuadé que les blancs n’avaient aucun groove musical, et c’est le morceau qui a marqué toute ma période d’avant le rock. C’est la première fois que je me suis intéressé à la musique, c’est cette chanson qui m’a passionnée en premier. C’était le début du rap français, la première compile du genre, c’est tout ce que j’écoutais à cet âge-là en gros.
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Nirvana – In Bloom
Alors ça, en revanche, c’est le morceau qui m’a fait vriller et si j’en suis là aujourd’hui, c’est clairement grâce à lui. Pas spécialement Nirvana au sens large, plutôt ce morceau en particulier. J’ai fini par me dire que le rap, à un moment, ça devient un peu n’importe quoi quand tu n’écoutes vraiment que ça. Et j’avais entendu parler de Nirvana au collège, le gars qui était mort, on en parlait, ce genre de trucs. Moi je savais pas du tout qui c’était. Et un jour on me dit « Mais ouais, mais Nirvana, mais tu sais pas ce que c’est !? » Et là on me dit que le mec il se shootait à l’héroïne, qu’il s’est flingué, je t’avoue que ça a un peu aiguisé ma curiosité, du genre « Bon, qu’est-ce que c’est que ce mec ? » Moi dans ma cité à Gagny, de l’héroïne j’en voyais, pour moi c’était un truc de bandit, les seringues et tout. Bref un jour j’étais en classe, et j’ai un pote qui me propose d’écouter un peu de Nirvana, et du coup je lui dis « ben ouais vas-y ! » Là le mec me sort une cassette qu’il avait dans la poche et me la file. Du coup j’étais hyper content, donc je rentre chez moi et je mets la cassette. Là, va savoir pourquoi – bon c’était une cassette piratée – le premier morceau que j’entends c’était pas « Smells Like Teen Spirit » mais celui-là. Je me rappelle, c’était un samedi matin, mes parents étaient dehors, j’appuie sur « Lecture » et j’entends « juste » ça quoi [on écoute le morceau en fond, Geoffrey marque une pause et savoure, ndlr] ! Et là je me suis dit quoi ? « Putain mais c’est des blancs qui groovent ! Ah les bâtards mais c’est quoi ce truc d’enculés !? » Après, quand j’ai entendu « Smells Like Teen Spirit » je me suis dit « ah d’accord, ok, j’ai déjà entendu ce morceau ». Mais donc voilà, si j’avais eu ce maxi là direct, j’aurais sans doute laissé le rap de côté plus tôt.
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Sonic Youth – Schizophrenia
C’est un morceau que j’ai aussi écouté en boucle, juste après le Bac, je dirais. Un moment de ma vie où je savais pas trop quoi branler. Je devais aller à la fac, mais je passais mon temps à… en fait c’était le début des premiers RER pour nous. Notre espèce de zone dans le 93, ça a été la dernière à être desservie par le RER, la ligne E, qui est apparue en 2000. Cette chanson me rappelle vraiment cette période, où je faisais mine de partir à la fac pour mes vieux, mais où en fait je me mettais au tag. Donc en gros je passais des journées entières à parcourir le RER, le métro, à rien branler, j’avais cet album [Sister, ndlr] dans les oreilles, je l’avais appris par cœur. Et le RER E à l’époque, il était nickel, donc ça a attiré des hordes de tagueurs, qui arrivaient, qui te retournaient le truc, ça c’était vraiment sensationnel putain ! C’était une pure période, ça a duré allez, trois ans à peu près, mais c’était vraiment une super époque ! Bon après c’est vrai que niveau études, j’ai arrêté avant même de commencer, et c’est aussi une époque où je faisais pas mal de merdes, je prenais de la drogue, mais cette chanson, même si tout l’album est mortel, ça reste vraiment le symbole de cette époque pour moi.
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The Melvins – Heater Moves and Eyes
J’ai travaillé dans un sex-shop, rue Saint-Denis, près de Châtelet. C’était complètement le délire ! J’y suis pas resté longtemps hein, peut-être trois semaines. Je bossais en régie. Donc les mecs rentraient, et ils te demandaient des vidéos de scatophilie, des trucs hyper glauques. Et putain je sais même pas pourquoi il y avait des vidéos comme ça dans ce magasin sérieux : un mec qui chie sur sa brosse à dents, enfin, que des trucs comme ça quoi… Il y avait des listes de films, des trucs mortels qui viennent du futur quoi, du genre « Champignons, anus et volupté » ! J’en ai oublié un paquet, c’est dommage. Mais t’hallucinais quoi, t’hallucinais ! Enfin bon, c’était une époque où je tapais quatre bangs par jour, le soir je rentrais du boulot, j’associais l’odeur de l’eau de Javel de l’immeuble aux bites et aux seins, je supportais plus du tout. Je rentrais chez moi et j’écoutais ça, ça te dit un peu l’état d’esprit dans lequel j’étais. J’avais la tête complètement défoncée, j’avais besoin de ça quoi, un truc super hargneux, limite boueux. Je m’allongeais sur mon lit et je m’écoutais les Melvins.
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Big Black – Kerosene
« Kerosene », c’est vraiment un morceau qui faisait hyper sens pour nous à l’époque. On était de la banlieue, on n’était vraiment pas de Paris [les membres de Big Black sont originaires de la banlieue de Chicago, ndlr], donc quand on allait à Paris, on avait l’impression d’être des touristes de passage, obligés de rentrer avec le dernier train. T’avais 50 000 concerts, tu savais pas du tout où t’allais, mais aller en province, pour nous, c’était pire que d’être en banlieue : il y avait encore moins de trucs à faire. Ça peut paraître con ce que je dis, parce qu’en banlieue parisienne, tu restes près de Paris et donc si tu veux faire des trucs, c’est pas si compliqué. Mais quand t’es en banlieue, Paris c’est ultra-cher, c’est galère. Du coup j’avais un peu besoin d’une échappatoire quand j’étais dans ma banlieue, parce que pas loin, t’as Paris qui brille. Donc voilà, j’avais cette vie-là, on était entre nous, on se mélangeait même pas avec les mecs des alentours, c’était hyper bizarre comme atmosphère. J’avais de gros problèmes d’identité, je foutais rien de ma vie, je restais allongé.