ALINE : « Faire de la pop, ça n’a jamais été français » (2/2)

Pour lire ou relire la première partie de l’interview, « Bon, je fais quoi ? J’arrête ? », c’est par ici.

Même si les références de votre album sont faciles à identifier, il n’y a rien de vintage ou de nostalgique, musicalement du moins. C’est volontaire ou s’agit-il d’un accident ?

Romain Guerret : Joli compliment. On ne veut pas se cantonner à faire de la musique des années 1980. Faire un truc vintage, je trouve ça complètement vain. Quel est l’intérêt de singer des mecs d’il y a vingt-cinq ans ? Les influences transpirent chez nous aussi, on ne peut pas faire autrement. Chanter en français, c’est d’ailleurs un parti pris pour se singulariser et ne pas être classé parmi les ersatz des Smiths. En moins bien, forcément : je ne serai jamais Morrissey. Je suis un énorme fan du groupe, mais on ne veut pas être catégorisé comme « les nouveaux Smiths ». À notre sujet, on a tout entendu : The Smiths, Indochine, les enfants de Daho, etc. Mouais…

Sans véritable avancée technologique ou sociologique, chaque nouveau groupe subit de toute façon le même sort : être étiqueté.

RG : Mais quelque part, il doit y avoir des similitudes. Tu écoutes les groupes de pop française qui font parler d’eux en ce moment, il y a un son qui nous réunit, on a tous les mêmes influences outre-atlantique ou outre-manche, ce même désir de ne pas faire de la chanson française, surtout pas de la chanson à texte. Juste faire de la pop, qui est un truc complètement anglais. Faire de la pop, ça n’a jamais été français. Et oui, les journalistes ont toujours mis les groupes dans des cases, créé des mouvements, des scènes. Ils n’ont pas complètement tort mais il se trouve que dans l’histoire de la musique, il y a parfois un souffle qui fait que des groupes font la même chose au même moment et tu ne sais pas pourquoi. On est content d’être intégré à cette scène là car d’une part, quand tu parles d’un groupe, tu parles de l’autre et surtout, on n’a pas à avoir honte de nos collègues : que ce soit Granville, Lescop ou les autres, c’est plutôt chouette.

C’est assez saisissant de voir tout ces groupes émerger au même moment. Vois-tu des raisons sociologiques, géographiques, à tout ça ?

RG : J’y ai réfléchi un peu, et je crois vraiment que ça part d’une réaction au diktat d’une époque, à une esthétique qui à un moment donné ne te plaît plus. Que ce soit dans l’art, la musique, ça se vérifie : prenons les punks, ils sont arrivés après dix ans de musique progressive ignoble. Ils en ont eu ras-le-bol de Genesis et de leurs morceaux sophistiqués d’un quart d’heure. Les punks voulaient revenir à la source, aux années 1950, non pas pour être vintage mais pour retrouver quelque chose de sauvage, de séminal… L’essence du rock quoi. Ce qui se passe en ce moment, c’est pareil. Fait notable : beaucoup des groupes qui montent en ce moment sont composés de provinciaux. On n’en n’a jamais parlé ensemble, donc ce que je dis n’engage que moi, mais je pense que chacun dans notre coin, on a été poussé par le même dégoût du tout électronique, du chant en anglais, de l’ironie… Peut-être que dans six mois, les gens en auront marre du chant en français et de la pop bleu-blanc-rouge… et qu’on aimera tous la techno gabber hardcore !

Ça faisait un peu ovni, de faire de la pop en français au début des années 2000, non ?

Arnaud Pilard : Oui avec La Femme, on a été les fers de lance. Plusieurs vagues ont suivi mais au début, les gens ne comprenaient pas et nous disaient « Mais pourquoi vous chantez en français, qu’est-ce qu’il vous arrive ? ». Alors qu’aujourd’hui, il y a des groupes qui signent chez des majors et qui n’ont pas d’autre choix que de chanter en français.

RG : Maintenant, il va y avoir une ribambelle de groupes qui vont emprunter cette voie et c’est là qu’on voit la limite d’un mouvement : quand tout le monde se met à faire pareil, ça tue dans l’œuf le côté excitant du truc. Toute l’histoire de la musique est marquée par ça… Un mouvement, ça dure un ou deux ans. Le punk, ça a commencé en 76 et en 78, c’était terminé.

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