Toute personne ayant étant adolescent ou adulescent à la fin des années 90 serait accusé de mensonge éhonté si elle osait dire que l’évocation de Black Star, album mythique réalisé en collaboration avec le non moins légendaire Mos Def, ne lui procurait pas un réconfort et une joie intenses (ceux qui sont passés à côté sont priés d’aller y jeter une oreille). Reformé l’année dernière le temps de quelques concerts (celui sur la grande scène de Dour, par exemple, était carrément jouissif), le duo laissait naïvement entrevoir la possibilité d’un nouvel album. Que nenni ! C’est bien en solo que Talib Kweli revient avec Prisoner Of Conscious, un sixième album chargé, encore une fois, en textes puissants.
Le cadre est connu : aussi lyrique qu’incisif, Talib Kweli poursuit ici une œuvre entamée en 2002, l’ayant vu faire appel depuis à des producteurs tels que Pete Rock, Will.i.am, Hi-Tek, Kanye West ou encore Just Blaze. Prisoner Of Conscious n’est donc pas une idée neuve, loin s’en faut. Mais il serait idiot de s’arrêter sur cette idée : après tout, seuls comptent le style, l’intellect et le flow, et celui de Talib Kweli est terriblement accrocheur. Toute sa force vient de là : dans cette capacité déroutante à faire sonner les mots, dans cette aisance à subvertir, pour mieux leur rendre hommage, les cultures afro-américaines (qu’il s’agisse de gospel, de soul ou de jazz, peu importe, l’ex-Black Star les sample tous).
Seulement voilà, il faut bien avouer que quelques audaces mélodiques supplémentaires n’auraient peut-être pas été de trop. Car, s’ils flattent l’oreille, les morceaux se révèlent parfois trop aimables pour être touchants, comme sur « Push Tru » (sur lequel on retrouve pourtant Kendrick Lamar et Curren$y) et « Upper Echelon » où la production est bien trop calibrée, et sans grande surprise. Au milieu de tout ça, il y a bien sûr les traditionnels titres r’n’b qui, sans convaincre, tentent d’apporter un peu de diversité à cet album – si « Come Here », en duo avec Miguel, est assez mauvais, il faut bien en convenir, ceux avec Melanie Fiona (« Ready Set Go ») et Seu Jorge (« Favela Love ») s’avèrent nettement moins paresseux.
Tout ça ne suffit heureusement pas à gâcher l’expérience. Car, une fois ces préventions écartées, on retrouve sur quelques titres (au hasard, « Turnt Up », « Delicate Flowers » ou « Rocket Ships » produit par RZA et en featuring avec Busta Rhymes) tout ce qui fait le charme du hip-hop de Talib Kweli : la modestie, les boucles néo-soul et les beats cinglants. Et même si, en matière de production, le modèle Prisoner Of Conscious semble ici à chercher davantage dans les anciens travaux du rappeur de Brooklyn, The Beautiful Struggle en tête, que dans une quelconque démarche avant-gardiste, la maitrise et la perfection dont il fait preuve suffisent à faire de ce nouvel effort une œuvre qui, si elle est loin d’être fondamentale, demeure au moins subtile.