Kurt Vile, le gentil héros

Si la grande lignée des songwriters américains, ceux qui extraient d’eux mêmes des histoires qui résonnent d’est en ouest, avait dû consacrer un digne héritier, ce serait lui. Une première analyse fait d’abord ressortir un homme d’avant. reconnaît et respecte ses aînés, Bruce Springsteen, Bob Dylan et Neil Young en tête, les utilise comme point d’appui et cherche même à s’inscrire, c’est lui qui le dit, dans la même tradition qu’eux. Il n’a pas de compte Spotify et possède un discman, qu’il utilise encore. Le mot « famille » revient souvent. Mais ce gars tout fin de trente-trois ans à l’imposante crinière bouclée, born and bred à Philadelphie, ne s’applique pas qu’à imiter les anciens, il amène l’art indémodable du songwriting et de la guitare acoustique dans un territoire résolument moderne. Il mène une vie simple et partage avec une grande partie de ses contemporains une désaveu total et désemparé du monde que les générations précédentes lui ont laissé, et « dans lequel on ne peut se permettre de vivre », comme l’a autrefois décrit Kim Gordon (avec laquelle Kurt Vile a partagé la scène en décembre dernier, lors du de You’re Living All Over Me, le deuxième album de Dinosaur Jr). C’est un peu ce personnage que laisse entrevoir le titre de ce cinquième album (double album, en fait, il dure près d’1h55), Wakin’ on a Pretty Daze. Ce « réveil joliment confus », c’est d’abord un jeu de mot (days/daze) mais aussi le reflet de ce qu’est Kurt Vile : un observateur discret et serein.

KURT VILE : Je ne pensais pas qu’elles seraient aussi longues, ces chansons. Mais je sentais que j’avais envie d’aller plus loin. Par exemple, la première, «  », je m’imaginais la finir sur un fade out ou un truc du genre, mais après avoir écouté la version finale, je ne me voyais pas l’éditer. Ça s’est fait un peu au coup par coup, en fait.

Comment passe-t-on du songwriter qui écrit des chansons de trois minutes à celui qui place six chansons de plus de dix minutes sur un album ?

Certaines chansons du dernier album étaient très longues, comme «  » par exemple, qui était un très long jam qu’on a fini par couper. «  » aussi. J’ai longtemps écrit des chansons plus pop, structurées, mais la différence, c’est que je me suis aperçu que certains morceaux étaient plus propices à ce genre d’ouverture sur la durée. « Goldtone », la dernière chanson de l’album, avait tout un tas de couplets. et après l’enregistrement de l’album, j’ai quand même décidé d’inclure des morceaux plus courts. J’avais envie d’explorer ces petits mondes avec ma guitare. Mais je ne pensais pas qu’elles dureraient aussi longtemps. D’autres chansons, en revanche, avaient un début, un milieu et une fin, comme « Shame Chamber » ou « Never Run Away ».

Elles durent quand même six et huit minutes, ces deux chansons…

La plupart de mes albums contiennent au moins un morceau plus conséquent. Je finis toujours par composer des trucs épiques, et cette fois-ci, je ne me suis pas restreint. Mais depuis le départ, l’idée est de conserver une sensibilité pop, c’était le challenge, de faire en sorte que tout du long, ça reste écoutable. Jamais je n’ai voulu concevoir un album avant-garde ou expérimental, ça ne me ressemble pas. Et surtout, j’avais envie d’essayer de nouvelles idées, de m’abandonner complètement à ma guitare et de voir où ça me mènerait. En fait, le concept, je ne m’en suis rendu compte qu’après, c’était de faire des pop-songs très, très longues.

Ton truc, c’est plutôt de laisser les choses se faire d’elles-mêmes, tu n’arrives jamais avec un concept précis en tête ?

Oui, je n’arrive pas avec une liste d’idées à mettre en œuvre. Tout se fait de manière plus subtile, mais toujours drastique : je veux toujours amener quelque chose de nouveau. Pour moi, « nouveau », ça signifie améliorer mon jeu de guitare, trouver de nouvelles techniques d’enregistrement, écouter beaucoup de musique. C’est un processus infini, j’absorbe toujours tout un tas de choses. Ces derniers temps, je laisse volontairement les choses traîner, je me donne de l’espace, du temps.

Penses-tu que cet album fera avancer ta carrière ?

C’est clairement une prise de position, ce disque, mais je suis en accord avec moi-même sur un point : je ne voulais pas refaire un album de chansons courtes. À mon avis, je n’ai rien à craindre.

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