magazine / interview

L’Horizon de Michael Mann: “Il avait tout compris”

Axel Cadieux, journaliste chez So Film et fin cinéphile, est l’auteur de L’Horizon de Michael Mann (éditions Playlist Society). Une oeuvre analytique de la filmographie du réalisateur de Heat et Miami Vice, plus que jamais important dans le Hollywood de 2015.
18/09/2015 / Nico Prat

Une fois n’est pas coutume, nous parlons de cinéma sur DumDum. Axel Cadieux, journaliste chez So Film et fin cinéphile, est l’auteur de L’Horizon de Michael Mann (éditions Playlist Society). Une oeuvre analytique de la filmographie du réalisateur de Heat et Miami Vice, accompagnée d’une passionnante interview du cinéaste, plus que jamais important dans le Hollywood de 2015.


L’amateur de popcorn lambda ne saura pas vraiment de quoi il s’agit. Et de toute façon, peu de chances que l’amateur de popcorn lambda soit allé voir Hacker, dernier film de Michael Mann et monumental flop un peu partout dans le monde. Mais les autres, les curieux, les intrigués, les malins, les obsédés et les Amoureux, trouveront dans ce livre quantité de pistes, d’images, qui leur donneront encore un peu plus à aimer dans la filmographie de l’un des derniers géants. Ses erreurs, ses plans et ses envies (parfois inassouvies), Axel Cadieux les scrute pour en tirer un ouvrage passionnant qui se dévore avec envie. Rencontre avec l’auteur.

 


Quel est ton premier souvenir de Michael Mann, ta première rencontre avec son cinéma ?

 

Axel Cadieux: “Je devais avoir une dizaine d’années et c’était en découvrant Le Dernier des Mohicans, vers 1998 j’imagine. Il fait partie de ces trois, quatre films d’enfance que je regardais en boucle, avec Predator et Les Incorruptibles. J’étais complètement fan des dernières minutes musicales et je le suis encore, j’écoute régulièrement le score de Trevor Jones. C’est assez paradoxal d’ailleurs car j’adore le film, mais j’en parle assez peu dans le livre, je ne trouve pas que ce soit un des plus représentatifs de l’œuvre de Mann. Evidemment à l’époque je n’avais aucune idée de qui était le réalisateur, j’en ai pris conscience quelques années plus tard en découvrant ses autres films”.


As-tu d'entrée de jeu eu une vision "analytique" de son cinéma ?

 

“Au tout début non, j’étais beaucoup trop jeune. C’est à la sortie de Collateral puis surtout de Miami Vice, en 2006, que je me suis vraiment intéressé au bonhomme. C’était une période charnière où je commençais à me forger une cinéphilie et à faire des ponts entre les films, les cinéastes. A cette époque mes trois réalisateurs préférés étaient Mann, Peckinpah et Johnnie To et je trouvais qu’il y avait beaucoup de similitudes entre eux, plus au niveau des thématiques et des valeurs portées que de la mise en scène, d’ailleurs. Et je dirais que c’est en découvrant Le Solitaire, un ou deux ans plus tard, que je me suis rendu compte que tout était là, en germe, depuis le début”.

 

Mann est-il une espèce en voie de disparition ? Un réalisateur qui ne fait pas de suites, développe ses projets selon ses envies, impose une vision (un peu comme Fincher).

 

“J’imagine que oui, de plus en plus. Il n’y a qu’à voir ce qui est arrivé à Josh Trank sur Les 4 Fantastiques (Chronicle était très bon et je suis sûr que ce gars aurait pu faire de belles choses), la manière dont Shyamalan s’est débattu dans un carcan imposé ces dernières années, ou encore la difficulté qu’ont certains grands noms à réunir des financements. Cela dit je suis aussi persuadé que c’est une affaire de cycles, tout n’était pas rose par le passé non plus et ce n’est pas un secret que les époques les plus fascinantes artistiquement restent celles où les voies de création semblent sclérosées. Il y a parfois de quoi désespérer (l’annulation de la sortie de Welcome Back de Cameron Crowe fait mal au cœur par exemple) mais je n’ai pas envie de jouer les Cassandre : les insiders malins à la Michael Mann existeront toujours”.

 

 

Hacker fut un échec monumental. Comment l'analyses-tu ?

 

“A mon sens Mann va toujours plus loin dans l’abstraction, et Hacker de ce point de vue est presque expérimental : le personnage principal passe le film à devenir, littéralement, un fantôme. C’est fascinant théoriquement, et c’est la raison pour laquelle je sauve le film, mais du point de vue de l’identification à un personnage c’est très complexe et casse-gueule. A mon sens c’est là que le film est faible, et ça se répercute sur l’histoire d’amour qui est assez bancale. De ce point de vue Hacker échoue là où Miami Vice, son grand-frère, était magnifiquement réussi, tragique et romantique. Cela dit, il reste à mes yeux très au-dessus de 90% de ce qui sort d’Hollywood aujourd’hui. Et il ne faut pas oublier non plus, comme Mann le dit dans l’interview, que le film a été très mal vendu et a souffert en plus de la compétition avec American Sniper”.

 

En temps que fan, as-tu parfois été déçu par le cinéaste ?

 

“Hacker m’a un peu déçu, oui. J’y trouve tout le squelette de ce que fait Michael Mann habituellement, vraiment tout, d’ailleurs je l’exploite de bout en bout dans le livre. Mais le cœur, la romance, est faible. C’est un film glacial et c’est très paradoxal : les personnages s’en sortent, ce qui est très rare chez Mann, mais ça vibre extrêmement peu de l’intérieur. C’est pour cette raison que je parle de happy ending en demi-teinte : malgré leur issue positive, je crois que ces personnages font partie des moins enviables de l’œuvre de Mann. Par ailleurs, je sais qu’il est assez bien vu de réhabiliter les « films maudits », mais j’ai beaucoup de mal avec La Forteresse Noire, que je trouve très nettement en-dessous du reste. Même si on ne saura jamais ce que Mann en aurait fait si tout s’était déroulé de manière optimale.

 

Si tu devais ne retenir qu'une seule scène de sa filmographie ? Celle qui te touche le plus et / ou celle qui résume le mieux pour toi le cinéaste ?

 

“C’est dur, mais je dirais l’échappée à Cuba en hors-bord dans Miami Vice. Il y a tout : la fuite, la vitesse, la romance naissante, cette sensation d’un instant furtif, unique dans une vie, qui file entre les doigts et ne pourra plus jamais se représenter. Là est bien sûr la beauté de la relation entre Sonny et Isabella : elle ne peut pas exister, c’est un mirage qu’ils essaient de concrétiser. En vain, et ils en ont conscience dès le début, mais pour la beauté du geste. Cette lutte-là me bouleverse toujours et la dernière scène du film en est la conclusion parfaite. Je pense aussi à la discussion entre Neil McCauley et Eady, sur le balcon face aux lumières de Los Angeles dans Heat, qui est d’une puissance visuelle et thématique incroyable. La scène de fin de Public Enemies, avec la porte qui se ferme sur Billie Frechette, m’émeut aussi énormément à chaque fois. Enfin, la discussion entre Tuesday Weld et James Caan dans le dinner, avec l’autoroute en arrière-plan, montre que Mann avait tout compris dès Le Solitaire, son premier long pour le cinéma”.


L’Horizon de Michael Mann, disponible aux éditions

Tags:


michael mann playlist society heat miami vice axel cadieux
  • 08/10/2015
    Mehdi Maïzi: “Le rap, comme l'amour, c'est toujours...

Dans le même style

  • Mehdi Maïzi: “Le rap, comme l'amour, c'est toujours mieux...
  • Fuck Ton Brunch: “Zappe tes trucs à la con et viens soutenir une...
  • L’Horizon de Michael Mann: “Il avait tout compris”
  • STAL & Neil Krug: “Il fallait quelque chose d'épique à l...
  • Star Wars et la philo: “J’ai eu l’idée de traiter du thème de la...

magazine

Mehdi Maïzi: “Le rap, comme l'amour, c'est toujours mieux quand on a quinze ans”

Il est l’une des voix les plus pertinentes quand il s’agit de parler de hip hop aujourd’hui, et ne ménage pas ses efforts pour mettre en avant les artistes qui, selon lui, comptent. Petite interview de Mehdi Maïzi, futur grand.

08Oct2015
Fuck Ton Brunch: “Zappe tes trucs à la con et viens soutenir une association"

Fuck Ton Brunch. Derrière ce nom absurde se cache, pour la cinquième année consécutive, une vraie bonne initiative citoyenne, et, pour nos lecteurs, musicale. Rencontre avec la patronne.

08Oct2015
Rilès: sa fraîcheur vous prend de vitesse

Un rappeur français qui chante en anglais ? La chose est suffisamment rare et intriguante pour qu’on se penche sur le cas Rilès. Et vous devriez en faire de même.

01Oct2015